TÊTU, Patrick Thévenin, avril 2014


« En finir avec les années 1980 »

« On connaissait le François Jonquet critique culturel, sa silhouette longue, son visage sculpté au couteau et son dandysme comme une seconde nature. On connaissait le journaliste fin et précis dont on dévorait la moindre critique qu’elle soit publiée dans feus GlobeLe Quotidien de Paris ou Nova magazine. Et puis on a découvert que sous le féru d’art contemporain (ses conversations avec Gilbert & George sont un must pour qui veut s’immerger dans le travail du couple le plus arty-gay) se cachait un écrivain dont le travail de romancier consistait à puiser dans les mémoires d’un jeune homme moderne qui avait vécu les années 1980 par tous les bouts et sous tous les angles.

Son premier livre, Jenny Bel’Air, une créature, biographie à tiroirs de la physio-cerbère du Palace nous avait enchantés par son souci du détail, mais aussi cette manière de se mettre à distance du mythe. Son premier vrai roman – ou disons sa première incursion dans la littérature non formatée – , Et me voici vivant, combinaison à plusieurs clés (un jeune homme atteint d’une maladie rare et mortelle dominait le destin et en profitait pour régler son compte avec le déterminisme social), nous avait subjugués par la force de son style, par cette écriture à la fois précieuse et toute en violence contenue. Daniel, le récit qui suivit, hommage somptueux et précieux à l’acteur Daniel Emilfork, habitué aux seconds rôles de salopard, nous fit réaliser que François Jonquet n’aimait que les gueules cassées et ceux qui ont choisi les chemins de traverse de la vie. Pas étonnant, donc, que Les Vrais Paradis puise sa force dans les années Palace que François a connues et dont il distille ici l’impressionnante influence sur notre monde moderne.

Dans ce livre, jamais nostalgique et comme sous l’emprise des stupéfiants, les morts changent de nom, les lieux se transfigurent, la drogue est une sorcellerie et le sida une lèpre… Mais à travers le personnage de ce jeune et beau garçon pris à partie un soir de pleine lune par celui qui pourrait être Roland Barthes, on revoit danser avec énormément de fantaisie tous les protagonistes d’un âge d’or parisien où la sexualité n’était pas étiquetée comme aujourd’hui, où le talent échappait au sens commun, où l’argent ne dictait pas sa loi, où la différence n’était pas une revendication syndicale et où l’underground n’était pas synonyme de slogan publicitaire…

Bref, François Jonquet, entre réalisme et pure divagation fictionnelle, dresse le portrait définitif à travers ce livre virtuose d’une époque dont les bande-mou auront eu raison. Mais, par décence, on ne livrera pas leurs noms… »