LE MONDE DES LIVRES, Nils C. Ahl, vendredi 27 juin 2014


« Jeune créature de la nuit »

« Des Vrais Paradis du jeune Thomas, au tournant des années 1980, François Jonquet ne donne ni carte ni description très précise. On y déambule, on s’y promène. Ils imprègnent tout le roman, à la manière d’un parfum ou d’une lumière parfois douce, parfois crue. S’il fallait une carte, cependant, ce serait celle d’un Paradis nocturne, ou au petit jour, plutôt rive droite. Si l’on tentait de dépeindre ces paradis, leurs visages seraient jeunes, les traits tirés, les yeux brillants. Au rythme des rencontres et de la nuit, le récit passe d’une anecdote à l’autre, cependant, glisse sur les heures et les jours, de 1979 à 1984. […]

François Jonquet maîtrise à merveille l’art difficile d’écrire à petites touches et par impressions fugaces. Il compose ce roman comme un souvenir de promenade, avec ses oublis, ses exaltations […].

La grande réussite de ces Vrais Paradis est de donner au lecteur l’impression du temps arrêté, du temps qui passe et du temps passé. Les aventures et l’initiation d’un jeune homme sont mises en scène au fil de ses découvertes, de ses plaisirs, de ses vanités – autant d’instants suspendus –, mais constamment réinterprétés, réinscrits dans le fil de la pensée et de l’écriture. Les références culturelles s’enchaînent, les effets de reportage aussi, mais sans rien d’artificiel. La langue oscille entre classicisme, crudité et moments d’invention poétique. On va de Lautréamont à Proust, de la liberté sexuelle au disco. Le plus remarquable est la cohérence du texte, qui n’en fait jamais trop, ni trop peu.

Le bal de ces jeunes années 1980 est masqué. Chaque personnage se compose, se grime et se déguise – et pas seulement parce qu’il s’agit d’aller à une fête costumée ou de se travestir. […] Les surnoms, les poses, les accoutrements et les codes sont un jeu de clair-obscur lancinant qui déroute l’œil : on ne sait plus quand est le voile et quand il ne l’est pas.

[…] Dans ce faux roman de formation et de déformation, François Jonquet réussit une prose d’une grande sincérité. La nudité physique et symbolique de Thomas se double d’une mise à nue psychologique et littéraire. Si Les Vrais Paradis ont parfois des allures de conte de fées (aves ses monstres, ses princes, ses portes closes et ses pérégrinations), ils n’en disent pas moins tout ce qu’il y a à dire sur leur protagoniste – même de manière allusive ou détournée. Thomas se livre tout entier au monde qui glisse sur lui et file à toute allure. De fait, il s’offre tout entier au lecteur comme un souvenir et comme un autre lui-même, surtout si le début des années 1980 lui dit quelque chose. Et si ce n’est pas le cas ? Il voyage. »