- Livre : Fille de la campagne
- Auteur : Edna O'BRIEN
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- Revue de presse
LE NOUVEL OBSERVATEUR, Didier Jacob, jeudi 11 avril 2013
« Edna, quel volcan ! »
« Enfance très simple, irlandaise. Qu’elle résume en quelques mots : Mère, père, champ et fort, clôtures de fortune, le grain qu’on rentre sous la pluie et le pain qui lève dans le four. Dedans, dehors. Au mois de mai, les haies qui deviennent un carnaval de pétales d’aubépine rose et blanc que le vent souffle comme des confettis. On se croirait au Japon, où la nature, comme en Irlande, vous rend poète sans qu’on ait rien demandé. Seule différence : le caractère. Edna O’Brien n’en manque pas. Elle aurait sans doute giflé John Wayne, si celui-ci l’avait, comme Maureen O’Hara dans L’Homme tranquille,ramenée de force à la maison.
C’est qu’on n’est pas pour rien du pays de la pluie et du vent. […] Arrivée à Dublin, mariée de frais avec un écrivain que l’indomptable Edna épouse contre la volonté de ses parents, c’est à Londres qu’elle s’installe finalement, à la fin des années 1950. Elle publie son premier roman, Les Filles de la campagne. Il fait scandale. Surtout on ne lui pardonne pas, le divorce étant consommé, de vivre l’amour librement, et d’élever seule ses enfants.
Ça ne lui réussit pas trop mal, cependant. […]
Toutes plus savoureuses les unes que les autres, les anecdotes traversent le livre à la vitesse d’un vent de force 8. Voici Marguerite Duras qui, trouvant Edna malade, s’en va chercher des suppositoires à la pharmacie. Voici Samuel Beckett, qui échange avec sa compatriote des propos sur les cimetières irlandais. L’obscurité s’était faite, les objets de la pièce étaient indistincts. Il était notoire que Beckett n’aimait pas beaucoup parler. Je me hasardai finalement à demander ce qu’il écrivait, à quoi il répondit : « Pas grand-chose, et à quoi bon, de toute manière ? » […]
On aurait tort de croire, à lire ce tourbillon d’aveux et de souvenirs, que la romancière allait se détourner de sa vraie nature : elle décide, les années passant, de s’installer dans le Donegal. Les souvenirs retournent aux souvenirs. Et Edna O’Brien s’avance, debout face aux éléments, triomphante, vulnérable et fragile, songeant sans doute à elle-même quand elle peint ainsi son cher Samuel Beckett : Il n’aurait pu parler des fossés et des marguerites, de la terre jonchée de ruines s’il ne l’avait aimée d’un esseulement si beau, triste et impérissable. »