- Livre : Mauvaises herbes
- Auteur : Dima ABDALLAH
- Revue de presse
MACOLLECTIONDELIVRES.COM, Henri-Charles Dahlem, jeudi 27 août 2020
Prix Envoyé par La Poste 2020
En deux mots:
De 1983 à aujourd’hui, la vie d’une famille libanaise va basculer. À travers les yeux d’une narratrice, ce sont les années de guerre civile qui défilent, puis celles de l’exil en France, lorsqu’il faut prendre congé d’un père qui décide de rester à Beyrouth.
Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique:
Chant d’amour pour un père, pour un pays
Dans un premier roman qui résonne fort aujourd’hui, Dima Abdallah raconte le Liban qu’elle a dû quitter au moment de la Guerre civile. Une chronique émouvante qui est aussi un chant d’amour pour son père.
« Beyrouth, 1983. C’est la guerre qui déchire le Liban et rend la vie si difficile. Mais pour la narratrice de six ans, le bruit des tirs et les déflagrations qui secouent la ville, c’est aussi le moyen de gagner un peu de temps de liberté. Elle en vient à souhaiter que les tirs redoublent d’intensité pour qu’ils soient tous renvoyés chez eux. Que son géant de père vienne prendre son petit doigt dans sa grande paume et qu’ils rentrent chez eux. Car le géant a un super-pouvoir : « Le géant est une gigantesque étoile qui illumine tout et un trou noir qui avale tout ce qui se trouve à proximité. Ce n’est pas que les autres personnes autour de lui sont moins importantes, c’est seulement que le trou noir a un tel poids, une telle force gravitationnelle, qu’il engloutit tout. »
Chez eux, c’était jusqu’il y a peu dans le sud de la ville, mais maintenant que le mur a laissé la place à un trou, il a bien fallu partir. Des amis qui ont choisi de fuir le pays leur ont laissé leur appartement sur le front de mer, au 9e étage d’un bel immeuble. S’il n’y avait pas sans cesse des coupures de courant qui empêchent de prendre l’ascenseur, la vie serait belle.
Dima Abdallah a choisi de donner successivement la parole aux deux principaux protagonistes, à la fille et au père, à ce géant qui fait semblant de maîtriser la situation, mais qui doute et s’angoisse. « Je vais continuer à lui dire que rien de tout cela n’est grave, qu’elle a bien raison de ne pas pleurer, qu’on ne risque rien et que ça ne nous regarde pas, ce vaste bordel. Je me dis qu’il n’y a pas besoin d’en parler, demain on ira acheter un pot de marjolaine pour remplacer celui qui a fané et on mangera une glace. Chaque soir, on trouvera la force d’oublier ce qui s’est passé pendant la journée et chaque matin on trouvera une parade pour oublier la nuit passée. Je crois que l’oubli est la meilleure des solutions… »
Au fil des semaines, avec son frère et sa mère, journaliste et prof de français, ils tentent de s’adapter au mieux, espérant un répit. Qui ne viendra pas. En lieu et place de la paix, ce sont les crises d’angoisse, la peur qui paralyse et qui rend malade. Après douze ans, il n’est plus possible de faire semblant. La sécurité n’est plus garantie et le moral s’est effondré. La confession du chef de famille – qui résonne tout particulièrement à la lumière des événements récents – est bouleversante : « Ma chute était synchronisée avec celle du pays. Des morceaux de moi se détachaient sur le rythme où les immeubles s’écroulaient. Je devenais aussi toxique que cette ville. Je sentais le soufre et le sang coagulé. De moi coulait la même pollution que celle qui se déversait dans la mer, chaque jour. Je me désagrégeais sur le même tempo que cette ville ».
Pour la jeune fille et pour son père, une nouvelle vie commence de part et d’autre de la Méditerranée. Une séparation, une douleur, un déchirement. Car cette nouvelle vie n’est pas une vie. Tout juste une survie. L’exil est d’abord intérieur: « Partir n’est pas une histoire de géographie. Tous étaient déjà partis avant même de prendre la route ».
Et si, durant les premiers temps, la famille va conserver l’illusion que cet éloignement n’est que provisoire, elle devra vite déchanter. Partager l’odeur du café du matin et même celle du jasmin qui pousse sur leurs terrasses respectives ne met plus de baume au cœur. Il creuse la distance, donne à la nostalgie le poids de la tristesse. Et rend si difficile le choix des mots pour dire tout leur amour. Il ne faut pas blesser, il ne faut pas ajouter de la tristesse à la tristesse, il ne faut pas remuer les plaies toujours vives.
Mais le mal est profond et les mots deviennent vite dérisoires lorsqu’on a l’impression d’avoir tout perdu : « Ils ont pris ma ville. Ma ville est tombée. Elle s’est effondrée et des étrangers sont venus en rebâtir une nouvelle, une réplique de mauvais goût, un artifice, une ville factice. Dans les égouts, le sang de leurs victimes doit encore couler. La Méditerranée ne devrait plus être bleue mais rouge. » »