ELLE, Olivia de Lamberterie, vendredi 27 novembre 2020


La vie est belle

Un conte de Noël ? L’Irlandaise Claire Keegan dépoussière et déniaise le genre dans une œuvre d’une beauté absolue.

« Évidemment, on pense à Frank Capra, à son merveilleux film de Noël où coule une rivière dans laquelle le héros, James Stewart, songe à se jeter.
Il y a aussi un cours d’eau dans le conte de Claire Keegan, et une jeune fille désespérée, enfermée dans un couvent avec « un seul de putain de rêve : [s]e noyer« . Et de supplier Bill Furlong, venu livrer du charbon, de l’y conduire.
Cette douleur le concerne-t-il, ce commerçant respecté, ce père de famille respectable ? La bâtisse ressemble à une carte de vœux, les religieuses y tiennent une blanchisserie florissante et une école professionnelle. Mais l’endroit est l’objet de tous les bruits : des filles sans mari viendraient y accoucher, elles seraient traitées plus bas que terre, et leurs bébés vendus à de riches familles. Qui pour s’attendrir du sort de ces créatures à la moralité douteuse – les commères ont le sens de l’euphémisme – parmi tous ces bons chrétiens, qui préparent la crèche à quelques jours de cette fin d’année 1985 ? Et lorsque Bill se confie à son épouse, elle l’éconduit d’un « écoute, il y a des filles qui s’attirent des ennuis« .
Mais Bill se souvient d’où il vient, il est né d’une servante et d’un père inconnu, a eu la chance d’être bien nourri et bien élevé grâce à la mansuétude de la patronne de sa mère. Et puis, Bill fait une deuxième rencontre dans l’écurie du couvent, une autre malheureuse grelottante et apeurée en quête de nouvelles de son nouveau-né.

Ce genre de petites choses conte le déchirement d’un homme, partagé entre « la part ordinaire de lui-même » et le désir de tendre la main, de rendre un peu de ce qu’il a reçu.
Pour dire les remous d’un cœur simple, Claire Keegan use d’une écriture belle comme une eau transparente. Sa fiction est inspirée de ces établissements administrés par l’Église catholique conjointement avec l’État irlandais, tristement célèbres sous le nom des « blanchisseries Magdale », dans lesquelles on ne sait combien de bébés ont perdu la vie et des filles leur avenir. Ce conte leur rend grâce et célèbre la bonté. Et c’est simplement magnifique. »