- Livre : Suite en do mineur
- Auteur : Jean MATTERN
- Revue de presse
WWW.LAPAVILLONDELALITTERATURE.COM, Apolline Elter, samedi 6 mars 2021
« Ce fut comme une apparition »
Celle de Marie Arnoux
« Et ce fut tout »
Tels sont les piliers qui marquent le début et la fin de la célèbre « Éducation sentimentale » de Gustave Flaubert (1869)
Pour Robert Stobetzky, narrateur et protagoniste de cette « Suite » majeure, il en va quelque peu autrement.
« Ce voyage était une très mauvaise idée. Je déteste la chaleur, et je déteste l’idée de devoir être aimable envers des gens qui ne m’intéressent pas »
Ce voyage organisé, en terre d’Israël, est le cadeau d’anniversaire de son neveu Emile.
S’il voit surgir, telle une apparition, la silhouette supposée de Madeleine, – qui lui fut jadis fiancée trois semaines durant – dans la Via Dolorosa de Jérusalem, le frais quinquagénaire saisit cette vision et l’opportunité de s’extraire du troupeau de ses convoyeurs pour opérer un vaste retour introspectif sur les décennies écoulées.
Et de bientôt greffer à ce premier abandon amoureux, celui, amical de Johann Chauchat, son professeur de violoncelle.
Et celui bien involontaire de ses parents, décédés coup sur coup, alors que l’enfant n’avait pas encore onze ans.
Et… si la musique constituait la planche de salut pour ce libraire de Bar-sur-Aube, célibataire, tendrement grincheux, désenchanté d’une vie par trop solitaire ?
La découverte de la (très belle) suite en do mineur de Jean-Sébastien Bach, au hasard d’une écoute radiophonique change à coup sûr le cours de son destin
Et imprime à la narration un souffle d’écriture magistral.
« Je compris tout d’un coup ce que Johann m’avait expliqué tant de fois : la musique n’exprime pas seulement la tristesse, ou la colère, ou le chagrin, tous ces sentiments –elle y répond aussi. »
Je vous engage à entamer le roman tout de suite.
Billet de ferveur
AE : cette fiction est une sorte de roman d’apprentissage, d’éducation sentimentale à rebours : le narrateur refait le parcours de sa vie pour en comprendre les étapes manquées
Jean Mattern : Parfois, malgré nous, notre mémoire fait irruption dans notre quotidien. Elle déroule des images, des souvenirs, non pas comme une bobine de film, mais dans le désordre, un peu comme un vortex qui nous entraîne vers un point marquant, un endroit auquel on n’échappe pas. Un moment de notre vie qui a été plus mémorable que d’autres dans notre vie. Et pour Robert, ce parcours à l’envers de son éducation sentimentale – j’aime beaucoup cette expression – démarre quand il croit revoir celle qu’il l’a passionnément aimée pendant l’été 69 et qui a disparu de sa vie ensuite.
AE : Robert Stobetzky est libraire. Il aurait pu trouver son salut dans les livres. C’est d’ailleurs le moyen qu’il emploie pour amener son neveu Emile à exprimer son propre malaise.
Jean Mattern : Je ne sais pas si je parlerais de « salut », c’est un mot périlleux, non ? Mais les livres au milieu desquels Robert a choisi de vivre l’accompagnent, lui et son neveu Emile, c’est certain. Et ils changent la donne, évidemment. Je crois profondément à cela : la littérature nous change, parfois à notre insu. Une épiphanie, une illumination, une compréhension profonde – qui ne se souvient pas d’avoir ressenti cela en lisant tel ou tel roman ? C’est le pouvoir de la littérature, ce mystère qui surgit quand les mots trouvés pour nous raconter une histoire sonnent parfaitement juste.
AE : Quel lien entretenez-vous avec cette fameuse Suite en do mineur de Bach ?
Jean Mattern : La musique n’emprunte pas les mêmes chemins que la littérature, mais le résultat est le même pour moi : quelque chose en nous bouge, cède, s’ouvre, accueille. Notre petite humanité se met à l’écoute et grandit (un peu). Et dans les œuvres qui ont joué ce rôle pour moi, la Suite en do mineur occupe une place de choix. Peut-être parce qu’elle est n’est pas d’une beauté évidente, avec son côté rugueux, douloureux, qui exprime tant de nuances, tant de subtilités de notre vie intime. A chaque nouvelle écoute, j’entends de nouvelles sonorités, d’autres richesses. C’est une partition inépuisable, à mon sens, et j’aime profondément cette manière de nous obliger à écouter, écouter encore, pour comprendre… l’âme humaine.