LES ÉCHOS WEEK-END, Philippe Chevilley, vendredi 7 avril 2023


Femmes sur un fil

LE COUP DE FOUDRE. Le lecteur s’attend à un roman historique, social et féministe.
Il n’y aura pas de sang versé est un peu tout cela à la fois, mais par son écriture originale et son style unique, il transcende les genres.
Autrice d’une quarantaine d’ouvrages, couronnée du prix Femina avec Anchise en 1999, Maryline Desbiolles est écrivaine et poétesse. Sa façon de raconter la première grève connue de femmes, en 1869, dans les ateliers de soieries lyonnaises, tient du (bref) chant chorale et de la course sportive. En inventant le destin de quatre femmes venues de France et d’Italie pour travailler comme « ovalistes  » – garnir les bobines de moulins ovales pour préparer le fil de soie au tissage – elle évoque plus qu’un mouvement social : les prémisses d’une révolution sociétale.

Entre Toia, la Piémontaise, Rosalie Plantavin, la Drômoise, Marie Maurier, paysanne des Alpes, et Clémence Blanc, la Lyonnaise, l’écrivaine imagine une course de relais. Un passage de témoin pour marquer la soif d’émancipation, la découverte de la sororité face aux hommes qui les tiennent pour quantité négligeable… et malléable. Leur histoire est brossée en saynètes vives : leur intégration expresse dans les ateliers, leurs courtes nuits dans les dortoirs ou mansardes, leurs promenades au parc de la Tête d’Or.

Puis viennent la grève et les premiers coups de gueule, sous l’œil ahuri des maîtres mouliniers. Les ouvrières revendiquent des journées de dix heures, veulent être payées autant que les hommes. Sont-elles tombées de la lune ? Une lune ovale, probablement… Las, il n’y aura pas de lendemains qui chantent. Même l’Association internationale des travailleurs fondée par Marx en 1864 les laissera en plan. Le communisme s’écrit d’abord au masculin.

Qu’à cela ne tienne ! Nos quatre héroïnes ont appris à relever la tête, à espérer ensemble. Errance dans les rues les jours de grève, détente dans les cafés. Colère, rires et tendresse partagés… Maryline Desbiolles file les métaphores (sur le sang, la grève…) et nous embarque dans un ailleurs poétique. Dans les dernières pages, elle offre un épilogue à nos quatre « relayeuses » – pas forcément joyeux. Mais la pièce d’histoire qu’elles ont tissée n’aura pas été vaine. Désormais, le monde devra s’écrire avec elles.