LE POINT, LEPOINT.FR, Tahar Ben Jelloun, samedi 17 août 2019


« Mur Méditerranée, un grand roman »

« Dans son livre magistral, Louis-Philippe Dalembert raconte de manière poignante le drame des migrants qui se noient en Méditerranée.

[…] Sujet d’information quasi quotidien, il était temps qu’un grand romancier s’en empare et restitue ces drames. Certes, ce n’est pas la première fois que la tragédie des migrants est racontée. Seulement là, l’auteur haïtien Louis-Philippe Dalembert a fait un travail avant tout romanesque, bien documenté, un travail remarquable de fond autour de trois personnages principaux, trois femmes, Chochana, juive du Nigeria, Semhar, Érythréenne, et Dima, musulmane d’Alep. On n’est plus dans les statistiques mais dans l’humain dans sa complexité, dans sa dynamique et son désespoir. […]

L’auteur raconte les différentes étapes du voyage avant de monter dans le bateau qui doit en principe les déposer à Lampedusa en Italie. On apprend comment les passeurs sont non seulement des mafieux, mais des esclavagistes qui vendent des femmes ou les louent pour des travaux domestiques chez des gens, ou des prestations d’ordre sexuel. L’horreur est partout. Humiliations, viols, tabassage, rien de brutal n’est épargné à ces passagers du malheur. La traversée est ensuite racontée dans des détails, avec une précision hallucinante. Le cauchemar est là, dans la cale, où on manque d’étouffer.

Mais au-delà de la tragédie qui se prépare, Dalembert décrit les relations entre les personnages, leur complicité, leur espoir, leur solidarité, leur échec. Et nous nous sentons concernés. C’est un roman ample, une écriture soignée, élégante, directe. Une belle œuvre qui donne à voir une Méditerranée non pas en lac de paix, mais en mur de tous les obstacles, avec du sang et de la haine, avec le racisme et l’esclavage. Le drame qu’il raconte s’est passé en juillet 2014. Mais cela se passe tous les jours. […]

La force de ce roman, sa puissance d’évocation viennent de la volonté de l’auteur d’inscrire cette tragédie dans la littérature, pas ce genre de roman qui s’apitoie sur les victimes, mais un roman qui fait réfléchir et nous rend ces personnages si proches, si humains qu’on se pose cette question : « Et si c’était moi qui avais dû tout vendre pour monter dans la barque du malheur ? ». »