LE MONDE DES LIVRES, Émilie Grangeray, vendredi 9 février 2024


« J’ai passé ma vie à éviter les sensations fortes. Question d’éducation. Pas d’alcool, pas de sauts en parachute, pas de voitures de course. Pas d’aventures non plus. Même le sexe m’ennuie parfois. Tout m’ennuie d’ailleurs, je crois. J’attends que ça passe. » Ainsi s’ouvre le nouveau roman de Jean Mattern. Depuis Les Bains de Kiraly (Sabine Wespieser, 2008), l’écrivain tisse une belle œuvre autour de thématiques (les non-dits, l’exil, la transmission ou encore l’ambivalence des sentiments), et de personnages récurrents : on retrouve ici mariée à Clément, le narrateur, Madeleine, qui hantait Suite en do mineur (Sabine Wespieser éditeur, 2021). Ce n’est plus Bach, mais Schubert qui irrigue Les Eaux du Danube pour accompagner la métamorphose de Clément au contact du professeur de son fils.
Sans trop en dévoiler, et parce que cela fait aussi le charme, voire l’essence de ce roman (chez Jean Mattern, plus d’euphémisme que d’hyperbole), disons que, quand cet habitué des longueurs balisées en piscine se met à apprécier la nage en eau libre, quand celui pour lequel  la discrétion est une valeur cardinale commence à poser des questions, le lecteur comprend que Clément est prêt à entendre ce qu’il se refusait à voir. Le plaisir du lecteur réside moins dans la résolution d’une quelconque intrigue, ou dans la révélation d’une pièce supplémentaire du puzzle familial que Jean Mattern élabore de livre en livre, que dans son analyse sensible des méandres de l’âme humaine.