EN ATTENDANT NADEAU, Marc Porée, mardi 24 septembre 2024


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Avec son nouveau recueil de nouvelles, Jan Carson réalise pour Belfast l’équivalent de ce qu’avait fait James Joyce avec Dubliners (1914) pour la capitale de l’Irlande : même appropriation d’un lieu devenu à soi, construction identique, ou presque, d’une mythologie de la ville moderne, saisie voisine, cruelle et tendre à la fois, d’une communauté humaine à cheval entre particularismes et universalité. Mais alors que chez Joyce la « paralysie » l’emportait, pour Carson ce serait plutôt l’hésitation quant à la nature du réel, marque de fabrique d’une certaine littérature fantastique.

Si l’on connaissait le talent de la romancière (Les lanceurs de feuLes ravissements, chez Sabine Wespieser), on mesure un peu plus, en lisant ces seize nouvelles parues en français sous le titre Le fantôme de la banquette arrière, combien son tempérament d’écrivaine s’impose avec la force de l’évidence. À quoi cela tient-il ? À quantité de choses, au premier rang desquelles figure l’art des titres.

Dans le monde anglophone, c’est sous un autre titre, Quickly, While They Still Have Horses (Vite, pendant qu’ils ont encore des chevaux), que le recueil a été titré. La nouvelle éponyme nous plonge, sans explication, dans un monde où tous les chevaux ont disparu, à l’exception d’un poney pas plus gros qu’un chien, parqué dans un enclos de Belfast, où les gens font la queue pour le voir et le photographier. Cette inspiration vaguement environnementale, ou pré-apocalyptique, est reléguée au second plan par le titre français. Ce dernier nous reporte au temps où la guerre civile faisait rage dans une province en proie aux « Troubles », et c’est à une enfant qu’il est accordé d’entrer en contact avec des forces occultes, privilège dont, historiquement, les écrivains anglo-saxons savent jouer comme personne.

L’inventivité vient ensuite : à chaque nouvelle, Carson renouvelle l’angle de vue, la perspective, les milieux sociaux, la temporalité, en faisant preuve d’une assez étourdissante audace, technique et thématique. Enfin, le point de vue porté sur cette parcelle du Royaume-Uni, où Carson est née en 1980, campe sur la frontière entre terreur et émerveillement. Et ce, à la faveur d’incursions, de plus en plus assumées, dans l’univers du surnaturel, jusqu’à la nouvelle de fin, traitée à la manière d’une fable aux accents bibliques, sur la rivalité entre deux frères – on pense à Caïn et Abel –, deux communautés, sectaires l’une comme l’autre.

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