LA VIE, Marie Chaudey, jeudi 3 septembre 2015


« Dans l’arbre des Mendelssohn »

« Au fil d’un roman labyrinthique, Diane Meur explore la généalogie du célèbre compositeur Mendelssohn. Rencontre à Berlin avec la germaniste passionnée et éclectique.

Fascinée par les questions de filiation qui inspirent ses romans, l’écrivaine Diane Meur s’est embarquée un matin dans l’exploration tous azimuts de la généalogie des Mendelssohn. Un chantier titanesque, épaulé par le numérique mais aussi bricolé colle et ciseaux en main, jusqu’à reconstituer une « carte », planisphère riche de 765 noms, arborescence atteignant la septième génération… Une quête que Diane Meur, la fine mouche aussi cultivée que fantaisiste, a transformée en un gros roman labyrinthique, ployant sous les histoires, les anecdotes et les digressions. Dans la ville de Berlin, qu’elle a quittée en 2012 après y avoir vécu deux ans, la romancière se sent toujours un peu chez elle. Sur la piste des Mendelssohn, elle est une guide fervente et imbattable. Elle nous a montré ses points cardinaux, la StaBi (la grande bibliothèque où elle a remué des kilos de documentation) et le cimetière protestant de la Trinité (dans lequel reposent Felix, Fanny, Abraham et nombre de Mendelssohn). Mais la station la plus émouvante du pèlerinage auquel elle nous a convié, est sans conteste la Mendelssohn-Remise, au n° 51 de la Jägerstrasse, un petit musée installé dans l’ancienne remise à attelages de la banque familiale. Là, au milieu des photos anciennes, des certificats de baptême et des instruments de musique, on réalise que le nom des Mendelssohn a été effacé sous le nazisme, leurs biens pillés. Il a fallu attendre plusieurs décennies pour que des recherches soient entreprises dans les archives, les activités et les réunions des descendants en mémoire de leurs ancêtres reprenant au fil des années. Nous croiserons ainsi Thomas Lackmann, la soixantaine à l’allure bohême, issu de la huitième génération et président de l’Association Mendelssohn, qui gère le musée et fut un interlocuteur essentiel pour Diane Meur. Une sympathique complicité lie les deux érudits, l’obstination de l’un n’ayant d’égale que celle de l’autre. À l’ombre des murs de la Jägerstrasse, le travail fou de la romancière prend alors tout son sens, défi au temps et à l’oubli, génial pied de nez à la mort.

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Marie Chaudey : Pourquoi cette généalogie vous a-t-elle fascinée et envahie à ce point, jusqu’à parler de 765 membres de cette famille ?
D. M. : J’ai retrouvé dans cette quête toutes les choses qui m’ont toujours intéressée dans la vie, la filiation, la transmission. C’est comme si j’avais baladé un gros aimant au-dessus de la limaille de fer. Tout s’accrochait. La configuration de cette famille me captivait en raison de sa dispersion, de l’éclatement des destins qui divergent de plus en plus au fil des générations. Et finalement, on en arrive à atteindre l’ampleur de l’humanité tout entière : dans les profils, les appartenances religieuses, les carrières, les pays et les continents. […]
M. C. : Et c’est cette diversité qui vous plaît ?
D. M. : Elle signifie qu’on n’est pas déterminé par un atavisme. C’est la liberté humaine. Le fait d’avoir un ancêtre commun ne conditionne en rien ce que les centaines de Mendelssohn de la septième génération ont fait de leur vie. Le paysage devient merveilleusement ouvert. Et j’ai trouvé cette constatation enivrante. Elle ouvrait le cœur, particulièrement à une époque où l’on veut nous enfermer dans des identités, des racines. J’ai horreur de ces termes figés. Les êtres humains ne sont pas des végétaux, ils se déplacent et génèrent le grand brassage des langues, des religions et des convictions. […] Chaque individu se construit en décidant soit de garder, soit de rejeter : une infinité de positions sont possibles, il n’existe aucune logique. Ce qui est beau, c’est toute cette richesse qui fait le mouvement de l’histoire, Il faut compter avec cette myriade de motivations personnelles et intimes qui s’entrecroisent.
M. C. : Ne tentez-vous pas d’épuiser ce thème de la transmission ?
D. M. Oui, sans doute. Au mot de transmission, que je trouve un peu lourd, je préfère celui de trace, plus concret. Mon livre est aussi une recherche de toutes les traces que peuvent laisser les hommes. […]
M. C. : Vous dites que ce livre est plus le roman de votre recherche sur les Mendelssohn que le roman des Mendelssohn…
D. M. : Il n’y a pas de fil rouge dans une famille, la marche de l’histoire part dans tous les sens. J’ai donc décidé de raconter les Mendelssohn de manière totalement subjective, de faire de cette exploration un récit de voyage, de considérer le temps comme un lieu et de me promener à l’intérieur. J’ai pris la métaphore au sérieux – le temps est un espace – pour en faire un vrai récit d’aventures. On ne sait pas vraiment ce qu’on cherche, ni avec quoi on revient dans ses soutes. »