- Livre : Le Tabac Tresniek
- Auteur : Robert SEETHALER
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- Revue de presse
LE CANARD ENCHAÎNÉ, André Rollin, mercredi 26 novembre 2014
« Les réverbères de Vienne »
« Vienne, 1938, c’est l’Anschluss, les événements se précipitent. Avant de quitter l’Autriche, Freud fréquente souvent Le Tabac Tresniek. Un captivant roman de Robert Seethaler.
En 1938, à Vienne, les réverbères sont comme les témoins silencieux des bouleversements qui secouent la ville au moment de l’Anschluss. Le jeune héros Franz Huchel, à peine arrivé, se raccroche à l’un de ceux-ci lorsqu’il se trouve mal. Tout au long du roman, ces réverbères vont rythmer sa vie tumultueuse et passionnée.
Ce jeune homme de 17 ans quitte les montagnes de Haute-Autriche pour se retrouver employé par le buraliste Otto Tresniek. Ce dernier a perdu une jambe à la guerre, ses béquilles ne le quittent pas. […]
Franz, sur son tabouret du bureau de tabac, se met à lire tous les journaux pour élargir son esprit et son horizon. Puis Otto Tresniek l’initie aux cigares […].
Petit à petit, Franz s’habitue à la clientèle : ouvriers, retraités, étudiants, ménagères. Quelques-uns venaient pour le tiroir où se trouvaient les revues galantes, les feuilles à branlette, traduisait le buraliste à l’usage de Franz. Il ajoutait : Un bon buraliste vend du désir, du plaisir, et parfois du vice. Un jour, un vieux monsieur entra dans le tabac. Sa barbe blanche était taillée avec soin, et, sous ses petites lunettes rondes cerclées de noir, brillaient des yeux bruns très mobiles, constamment en éveil. C’était Freud !
Entre le professeur et Franz, une amitié s’installe, bien qu’Otto Tresniek l’ait prévenu : C’est un youpin – Ah bon, dit Franz, je ne vois pas où est le problème ! Ils se mettent à se rencontrer, à s’installer sur un banc pour discuter. […] Ils parlent de l’amour, personne n’y comprend rien, lui dit Freud : Surtout pas moi ! Mais comment se fait-il que tout le monde tombe amoureux ? – Jeune homme, dit Freud, en marquant un temps d’arrêt, on n’a pas besoin de comprendre l’eau pour plonger la tête la première !
Franz, très vite, va plonger. Elle est de Bohême, elle le drague, elle disparaît, il la retrouve : elle s’appelle Anezka. Et c’est la tempête ! La folie. […] Il rencontre toujours Freud, il retient de lui ce conseil : écrire ses rêves. Franz le fait, les affiche à la porte de son tabac. Gros succès. Les clients s’arrêtent. Les lisent. Il se promène dans Vienne. Il rêve. Imagine un autre monde…
[…] C’est le 4 juin 1938 que le fondateur de la psychanalyse quitte Vienne avec sa famille, ses meubles. […]
Avant de partir, il dit à Franz : On erre à tâtons dans une obscurité pratiquement constante et, avec beaucoup de chance, on voit parfois s’allumer une petite lueur. Et, avec beaucoup de courage ou de ténacité ou de sottise ou, mieux, les trois en même temps, on parvient à émettre un petit signal par-ci par-là.
Ce roman de l’Autrichien Robert Seethaler est un très beau signal. »