LE FIGARO, Christophe Mercier, jeudi 6 octobre 2016


« Dans la gueule du loup »

« Le portrait d’une Irlandaise séduite et abusée par un criminel de guerre serbe en cavale. Magnifique.

À la fin de la fille de Ryan, une jeune femme, accompagnée de son mari, Robert Mitchum, quitte son village d’Irlande sous les huées, car elle a eu une liaison avec un officier anglais, et part se réfugier à Londres.

L’Irlandaise Edna O’Brien, qui a bien connu Mitchum, a sans doute pensé à cette séquence en imaginant le destin de son héroïne, Fidelma, elle aussi containte d’émigrer, et pour des raisons similaires. […]

Passé un bref et surprenant prologue, qui fait allusion aux 11 541 chaises rouges alignées le 6 avril 2012 le long de la grand-rue de Sarajevo, pour commémorer le vingtième anniversaire du commencement du siège de la ville par les forces serbes, les familiers de l’œuvre se retrouvent en pays connu : une bourgade d’Irlande ; un jeune prêtre maladroit, quelques nonnes dans un couvent à demi désaffecté ; un pub souvent désert, un grand hôtel-restaurant fréquenté par les notables. Et une jeune femme qui s’ennuie, sans le savoir. […]

Mais voilà que s’installe au village un mystérieux docteur qui, ses longs cheveux blancs retenus par un catogan, pratique la sexothérapie et la médecine par les plantes, et devient vite, la curiosité et la méfiance passées, la coqueluche des dames de Cloonoila. […]

[…] On est […] impressionné par la description de la vie d’une nouvelle Madame Bovary dans une Irlande étouffée, par cet amour fou, soudain, qui la fait tomber dans les bras d’un inconnu qui représente l’Ailleurs, la Vie, la Vie tout court, qu’elle ne connaît plus depuis longtemps.

Edna O’Brien a réussi, une fois de plus, un portrait de femme profond, sensible, une nouvelle variation sur les motifs qui lui sont chers, écrite dans une langue admirable de diversité et de souplesse. »