- Livre : Le Meilleur des jours
- Auteur : Yassaman MONTAZAMI
- Revue de presse
ACHACUNSALETTRE.BLOG.LEMONDE.FR, Cathia Engelbach, samedi 16 février 2013
« Si mon père m’était conté »
« Portrait d’un prince en héros, celui-là même qui animait de véritables petits meetings et entonnait du Marx devant des parterres de communistes prosoviétiques, léninistes, trotskistes, maoïstes, bordiguistes… et dont la grande fille que la narratrice est devenue se rappelle aujourd’hui. Car, comme dans tous les contes, le « royaume de Téhéran » – pour peu que l’on puisse filer la métaphore – se divisait alors en deux clans qui s’affrontaient, alliés communistes et ennemis de droite, à la veille du basculement de la monarchie iranienne en République islamique.
Yassamam Montazami place sans retenue un peu de merveilleux au cœur d’un récit pourtant parfois très dur, quelques touches de drôlerie fine et pincée lorsqu’elle décrit les multiples personnages qui gravitent autour de son père, et lui-même, au centre du tableau, à qui elle donne le charme suranné et enchanteur d’un personnage quasi insaisissable, construit par litotes et hyperboles, maillé dans des citations empruntées, photographié dans des situations aussi délicieuses qu’improbables.
Sur un paysage qui ressemblerait volontiers à un champ de bataille, tout réel celui-ci, pris dans les affres politiques et belliqueuses d’un pays déchiré, un visage émerge. Mort et éteint depuis, il revit alors par l’écriture et émerge sourire large aux lèvres, yeux malicieux, une odeur d’épices et d’opium l’accompagnant, verre de whisky dans une main, crayon dans l’autre, prêt à trinquer et à citer dans le texte. On devinerait presque, cachée derrière lui, une petite fille, une adolescente, une femme devenue mûre, qui l’écoute et l’admire. Et l’auréole même mourant : Les semaines passant, il devint d’une maigreur extrême. Sur cette chair qui fondait à vue d’œil et dénudait ses os, sa peau de papier jaunie semblait chaque jour plus fine, plus transparente. Les rayons du soleil la traversaient presque, y révélant des nuances d’ordinaire invisibles, des vapeurs bleutées, turquoise, rose pâle, qui le nimbaient comme d’un halo. On eût dit que Behrouz s’effaçait sous nos yeux.
Lorsque le conte s’épuise, au bénéfice de l’évocation de Proust, on comprend quelle aura été l’entreprise : une construction lente, minutieuse et pleine d’humour d’une minuscule cathédrale qui enfermerait pour toujours le bien-nommé Berhrouz, le meilleur des jours. »