ARTPRESS, Colin Lemoine, avril 2024


Une écrivaine. Un sculpteur. Celle-là pose des questions à celui-ci, qui lui répond. Chacun avec ses mots, avec sa langue. Celle de Maryline Desbiolles est connue – douce comme le lait, vive, pas de côté et enjambées, ca- pable de dire le ténu et le grand dans le ténu, apte à dire le soleil, l’aisselle que forme la baie de Nice, la seiche, les ovalistes de Lyon, la marche des beurs, les draps du peintre Jean-Pierre Pincemin, le génie du lieu. Ceux de Bernard Pagès sont plus confidentiels, car plus rares. L’artiste n’est pas un taiseux, non. La fable du paysan lotois à la bouche cousue aurait été trop simple. L’homme parle, et bien. Et il parle comme il écrit, et non l’inverse – avec faste, avec drôlerie, avec des tours de langue merveilleux, quand « ça devine la pluie » et qu’une sculpture « est très écrite, très dessinée ». Est-ce parce que l’écrivaine vit avec le sculpteur que la maïeutique est ainsi fluide, que tout s’enchâsse comme dans les sculptures de Pagès, avec force et évidence, avec force évidence ? Sans doute, mais pas seulement. L’artiste déploie sa carrière, déplie sa vie, évoque son enfance, sa haine de l’école, les copains, les éclats, les galeristes, les bidouillages, les arrangements, la rocaille, les tournesols que l’on brandit en courant pour imiter les phares des voitures, les petits boulots, ses œuvres si ancrées et si vives, le goût du labeur, du harassement, ce métier d’artiste qui est un métier de vivre, comme dirait Cesare Pavese, la volupté des matériaux, les lendemains qui chanteront, sans complaisance, sans lyrisme, sans forfanterie. On savait Bernard Pagès sculpteur voluptueux, on le découvre écrivain, peuplé de phrases splendides, nues, attachées au parti pris des choses. On découvre Maryline Desbiolles statuaire : ses mots dégagent du marbre Pagès la forme pure. Faisons simple : c’est un livre d’amour. Aussi.