BLOG « LA LIVROPHAGE, LECTRICE EN CAMPAGNE », lundi 13 novembre 2023


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« Robert Simon quitta l’appartement dans lequel il vivait avec la veuve de guerre Martha Pohl, à quatre heures et demie, un lundi matin. C’était la fin de l’été 1966, Simon avait trente et un an. Il avait petit-déjeuné seul – deux œufs, du pain beurré, du café noir. La veuve dormait encore. Il l’avait entendue ronfloter dans la chambre. Il aimait bien ce bruit, ça l’émouvait curieusement, et il jetait quelquefois un œil par la porte entrebâillée, dans l’obscurité où palpitaient les narines grandes ouvertes de la vieille femme. »

Ainsi débute ce beau roman, où flâne de la mélancolie, une ambiance particulière, celle des années 60, en Autriche. Robert Simon, le personnage principal prend un nouveau départ et décide de reprendre un café abandonné, un rêve de gosse. Ainsi avec ce café qu’il nommera le café sans nom – il n’en avait pas, ou plus –  va renaître un peu de vie dans le quartier. Simon est logé chez une vieille dame veuve de guerre, et il va embaucher la jeune Mila, couturière mise au chômage.

De ce lieu, de cet homme, de ce quartier, l’auteur va nous plonger avec beaucoup de délicatesse dans la vie de ces gens ordinaires, petits commerçants – le boucher – , artisans, et sous cette plume fine va renaître un homme qui enfin dans sa vie atteindra son but. Ce sera parfois difficile, des petites choses lâchent, il faut les réparer, Mila devra apprendre le service, mais Simon est un homme placide, qui perd rarement son sang froid.

La vie va ressurgir, les gens vont se retrouver, se croiser à nouveau, se saluer, parler et bien sûr boire des verres.

« Un jour, un pasteur évangélique avait débarqué au café […]. Il avait traversé la salle au pas de course, ôté son surplis d’un même élan, annexé un tabouret de bar et éclusé six bières à la file. Après quoi il avait commencé à parler. Il se sentait seul. Seul au monde, seul dans sa peau et surtout seul au milieu d’une tripotée de catholiques. Car l’homme n’était pas un mollusque. Ni une baleine errant dans les mers glacées. L’Homme avait besoin de l’homme. »

Pourtant, tout n’est pas rose. Mais ce lieu va donner (re)naissance au quartier, et surtout à ses habitants. Ce fameux lien dont on parle sans toujours le trouver ni parvenir à le créer, Simon, avec ses petits moyens mais sa grande envie va y parvenir, et ce jusqu’à la fête finale du roman.

Faite de petites choses, de gens ordinaires, de vies parfois difficiles, l’atmosphère du Café sans nom apporte de la chaleur l’hiver aux vapeurs du punch, et aux beaux jours on boit frais sur la terrasse. Ce simple Café sans nom va recréer une communauté. Les chapitres alternent des morceaux de vie des personnages principaux, comme Mila et son catcheur, le boucher et sa nombreuse famille, Micha le peintre avec la crémière. Beaucoup de choses se jouent et se nouent au café. Qu’on y bavarde ou qu’on se taise, on est avec les autres.

« Il y fait chaud, l’hiver les fenêtres ferment bien, on peut boire quelque chose et surtout on peut parler quand on en a besoin et se taire quand on en a envie. »

On sourit doucement à certaines scènes, tout est délicatement dépeint, c’est ce qui caractérise cette écriture fine, la délicatesse et l’affection qu’on ressent pour les personnages, même les plus bruts ( sans e ). L’ambiance peinte par touches est empreinte de mélancolie mais aussi d’une vraie joie à voir Robert Simon réussir, pour lui, et pour les gens de son quartier.

J’ai trouvé grand plaisir à cette lecture qui sans en faire des tonnes, au contraire dans une tonalité réaliste et pleine de justesse sur les habitants de ce quartier renaissant, par touches impressionnistes, m’a fait passer un beau moment dans ce Café sans nom, au chaud et en bonne compagnie, à siroter un punch.

« Les effluves de punch coiffaient la salle d’un odorant voile chaud qui, avec la fumée de cigarette, les odeurs d’oignon , de bière et de café moulu sur fond d’un brouhaha de conversations, produisait une douillette et brumeuse atmosphère familiale. »

 Une très belle lecture empreinte d’une humanité chaleureuse dans la ville de Vienne où flâne la mélancolie.