BLOG MEDIAPART, Slimane Ait Sidhoum, vendredi 4 octobre 2024


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Maryline Desbiolles nous plonge dans l’histoire des Harkis à travers le parcours d’une jeune adolescente qui redécouvre ses origines.

Le souvenir des jeux olympiques est encore vivace dans tous les esprits car la beauté des gestes, la ferveur des challenges et le dépassement de soi enchantent les âmes des athlètes et des spectateurs. Ces qualités qu’on voit dans les compétitions suivies par des millions de gens, on les retrouve incarnées chez Emma Fulconis, l’héroïne du nouveau roman de Maryline Desbiolles, intitulé, L’Agrafe.
Il s’agit donc d’une adolescente qui aime courir entre les villages situées dans les Alpes maritimes. Ce sentiment de liberté et de plénitude que donne la course à pied est bien ressenti par le lecteur car décrit avec maestria par l’autrice. En tournant les pages, on a l’impression de la suivre ou de courir à ses côtés pour voir tous ces paysages merveilleux accidentés de la Méditerranée.
Mais ces villages enchanteurs cachent des histoires humaines tragiques qui peuvent s’apparenter à celles qui nourrissent la mythologie grecque. Il suffit juste de jeter un coup d’œil à toutes les stèles érigées dans tous les recoins de cette région et au détour des routes et pistes pour s’en rendre compte et comprendre le poids de l’Histoire. Emma vu son âge ne prend pas conscience à toutes ces célébrations historiques, protégée qu’elle était par une maman aimante et qui voyait en elle, une future championne du sprint.
Ces courses rapides qui sont en général l’apanage de l’école américaine d’athlétisme. Cependant comme on l’a vu lors des jeux de Paris, certains pays inattendus sont venus contestés l’hégémonie de l’oncle Sam dans cette chasse gardée.
L’oncle maternel qu’on désigne par les initiales JP, très taiseux et renfermé sur lui-même comme s’il cachait un lourd secret, de son côté est impressionné par la vélocité de sa petite nièce et ses yeux en disent long sur l’admiration qu’il voue à Emma. Il y a aussi dans ce paysage le fils Goiran, Stéphane qui est un peu plus âgé qu’elle et qui est en apprentissage dans le garage du père de la petite championne. Ils ont des échanges laconiques même s’ils n’ont pas les mêmes centres d’intérêt. Sauf qu’un beau jour, il l’invite à venir le voir chez lui, étonnée par cette soudaine hospitalité, elle céda à la tentation sans trop réfléchir.
En arrivant dans la maison des Goiran, et en passant par le salon, le chien du maître des lieux l’attaque et lui broie presque tout le pied gauche. Transportée à l’hôpital, la guérison s’avère longue et il fallait presque recourir à l’acharnement thérapeutique pour sauver ce pied endommagé par les crocs d’un chien sans antécédents. Le père Goiran propriétaire de cet animal justifie l’acte ignoble par une autre ignominie : « Mon chien n’aime pas les Arabes. » En apprenant, cette sentence raciste, Emma redécouvre l’histoire de sa mère qui répond au doux nom de Francine. Car derrière ce patronyme se cache la douloureuse histoire des Harkis. Les supplétifs autochtones de l’armée française lors de la guerre d’Algérie. Ils ont fui leur pays après l’indépendance de l’Algérie car accusés de traîtrise. Ainsi, malgré les services rendus à la France coloniale, ils ont été parqués dans des camps qui ressemblaient à des centres de rétention. Le chemin de l’émancipation pour eux a été un long chemin de croix.
L’autrice a réussi à bien retracer ce drame où l’effacement identitaire faisait partie d’une pseudo intégration à la nation française. Emma en se réconciliant avec l’histoire familiale cherche à travers la réponse à une offre d’emploi à Lyon, un affranchissement des pesanteurs de la souffrance mémorielle.