Blog Vers les îles, « Personne ne nous verra » de Conor O’Callaghan , vendredi 11 mars 2022


“ La vraie vie est absente ” et, plus loin, “ Nous ne sommes pas au monde ” … Paddy, le narrateur qui conduit un camion d’Angleterre vers le sud de la France, aimerait savoir ce qui l’interpelle dans ces deux phrases : “ Ça vient du même endroit, de la même source dont je n’arrive pas à me souvenir ” (pp. 136-137).

À chaque étape du parcours, sur des aires de stationnement, le monologue se poursuit laissant la place de temps à autre à la voix d’une jeune passagère — clandestine ? Les deux voix ébauchent alors le portrait fragmenté d’une famille à la dérive, à l’image de cette maison en Irlande, dont le nom — Tír na nÓg — promettait fièrement la jeunesse, et qui n’est plus source que de malentendus, de tensions, de désillusions, de rancœurs. Il y a enfin cet événement, très furtivement évoqué, “ la chose dont nous ne parlons jamais ”.

Rugueux et chaotique, le dialogue entre Paddy et la jeune fille, ignore les convenances de langage les plus élémentaires. Phrases inachevées, ruptures de ton, questions sans réponses, réponses hors-sujet. Dans ce désordre s’épanouit une étroite connivence qui, au bout de la route, éclairera un dénouement … inéluctable et déroutant.