Coup de cœur de Stéphanie de la librairie Coiffard (Nantes), lundi 21 août 2023


C’est du corps de Jeanne, étudiante de 21 ans en cette année 1967 dont il est tout de suite question puisqu’on la découvre dès les premières lignes dans une scène humiliante qui se déroule dans une salle de la Salpêtrière au pavillon obstétrique. Jeanne va apprendre suite à ce rendez-vous que l’avortement pratiqué quatre ans auparavant a endommagé ses trompes de façon irréversible. Avec le lecteur, elle remonte le temps pour faire connaissance avec la jeune femme qu’elle était il y a quatre ans : la fille de sa mère, l’amoureuse, l’étudiante fascinée par le Mahabharata. Et puis Jeanne se confie à une femme-esprit un peu folle, elle lui raconte ses luttes féministes dans les années 70, le procès de Bobigny, son retentissement, le courage de Gisèle Halimi et le rôle que tout cela a joué dans la dépénalisation de l’avortement. Et tandis que le temps passe, qu’une solidarité féminine se met en place, Jeanne apprend à faire une place au creux de son âme à celui qu’elle ne connaîtra pas, l’enfant dont elle a dû se débarrasser et qui reste : le petit Krishna, son enfant bleu. Et puis l’autrice opère une ellipse de plusieurs années. Nous retrouvons Jeanne avec Reda, l’homme avec lequel elle va avoir un projet d’enfant malgré sa stérilité. Un homme, tout comme elle, qui a des failles, une histoire blessée et secrète qui se niche quelque part en Algérie. Mais quand l’enfant doit paraître, le silence ne trouve plus sa place…

Les faiseurs d’anges est un portrait de femme juste et pudique qui vient rappeler que des combats ont été menés et gagnés et qu’il serait bon qu’on s’en souvienne, que les féminismes peuvent prendre des formes variées. C’est le roman d’un époque, celle des luttes. Mais ce qui sauve Jeanne, ce sont les légendes, les esprits et les images, qu’elles soient d’origine picarde ou indienne.