ESTO-MAGAZINE, Dominique de Poucques, lundi 25 avril 2022


C’est la dérive d’un homme aux prises avec ses démons et ses fantômes. Il vit reclus dans un univers aseptisé, en proie à ses angoisses et ses TOC. Le jour où il apprend la disparition de la femme qu’il a aimée, quelque chose s’éveille en lui. Il quitte le semblant de vie qu’il lui reste et fait le choix de la rue, pour oublier. « Je veux que toute ma vie d’avant brûle doucement et tombe en cendres. » « La rue a ce pouvoir magique, elle vous débarrasse de tous les murs et de tous les fantômes qui y logent, de tous les prénoms qui s’accrochent. » « Je me débarrasse petit à petit des murs de ma mémoire comme on extrait des tumeurs. »

Il ne s’établit vraiment nulle part, se déplaçant d’un endroit à un autre, suivant une routine bien établie. De la rue de l’Ermitage à celle du Repos, passant par la rue des Partants, il se nourrit de l’observation de femmes qui le touchent, par la simplicité et la sincérité de leurs actions, ou pour le souvenir qu’elles évoquent. Instinctivement, il repère leurs failles et les reconnait avec compassion. Son errance à travers ces rues aux noms évocateurs révèle une certitude, comme une oraison funèbre : « La rue de l’Avenir est une impasse. »

Dima Abdallah, de son écriture profonde aux pourtours envoûtants, construit ce roman singulier, poétique et fort. Elle rappelle que traverser une mer ou jeter ses clés ne suffit pas à effacer le passé. Elle distille patiemment les informations, reconstituant lentement le puzzle d’une vie. Les références poétiques ponctuent les chapitres, commentées par le narrateur : Proust, Aragon, Sartre, Céline, Camus, Kundera, Baudelaire et Duras poignent en ligne de fond. La narration est un fil tendu entre la dure réalité de l’existence et la joliesse d’un conte. L’ensemble est superbe et intense.

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