FRANCE CULTURE, « Par les temps qui courent », Marie Richeux, jeudi 30 mars 2023


Entre 1868 et 1869, quatre jeunes femmes issues de régions différentes se retrouvent à Lyon pour travailler dans la première branche mécanisée de l’industrie de la soie. Menées par Philomène Rozan, elles s’engagent dans une course qui les mène à devenir parties prenantes de la première grève de femmes de l’histoire. Maryline Desbiolles imagine ses quatre personnages en relayeuses, à se passer le témoin dans une course vers la première grève de femmes connue.

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Un mot pour faire prendre corps aux choses

« J’étais tombée sur le mot « ovalistes », et je l’avais retenu, mais écrire un roman historique ce n’est vraiment pas mon genre. J’étais avec ce mot, sans savoir qu’en faire, et en même temps, j’avais besoin d’un mouvement. Tout d’un coup, cette course de relais m’a sauté aux yeux. La course est anachronique, puisque les femmes, au XIXe siècle, ne courent pas, ne pratiquent pas de sport, et parallèlement, la transmission, c’est vieux comme le monde. Finalement, tout s’est mis en place grâce au mot : c’est lui, et non l’idée, qui fait prendre corps aux choses. Ce sont les mots qui me conduisent. »

Le savoir qui libère l’écriture

« Je me suis beaucoup documentée sur la grève des ovalistes, sur le XIXe siècle. Sur la condition des femmes à cette période, il n’y a pas tant de choses que ça, et j’ai dû chercher tous azimuts. En vérité, plus j’apprenais de choses, plus je me sentais libre. J’ai eu la chance qu’il existe un livre sur la grève des ovalistes, très précis et avec tous les faits. En apprenant toutes ces choses, je pouvais tout d’un coup, courir le plus vite possible et inventer mes quatre personnages, avec la liberté acquise grâce à ce savoir. »

Montrer le sang caché des femmes

« Je n’avais jamais abordé la question du sang des femmes, de ce sang qui est sans gloire, qui n’est pas celui des étendards et qui est caché, notamment celui des premières règles. Cela m’est apparu comme étant le contrepoint du sang romantisé, celui des combats et des manifestations héroïques. Donc, le sang ne sera pas versé, pour la bonne raison qu’il l’a déjà été, mais pas de la manière dont l’histoire le manifeste. Montrer le sang caché des femmes, c’est une manière de déplacer un peu les choses et de changer de paradigme. Dans ce livre, il n’est pas question de mourir au combat, mais de montrer l’héroïsme de ces femmes au quotidien. »

La création dans la répétition

« Je n’écris pas rapidement, je n’ai aucune fulgurance, et pour moi, c’est laborieux. Tous les après-midis je vais écrire dans mon bureau, et je remets tous les jours l’ouvrage sur le métier, en faisant le pari de retrouver le fil. En ce qui me concerne, le geste d’écrire, c’est la répétition, comme un derviche tourneur, qui à force de tourner à le vertige et l’ivresse, en faisant la même chose. C’est à ce moment-là qu’on va peut-être achopper, faire un écart, et c’est là que tout se passe. »