KELTIA, LE MAGAZINE DES MONDES CELTES, Robert Martin, automne-hiver 2022


Coup de blues irlandais pour Gabriel Byrne

Comédien, scénariste, réalisateur, Gabriel Byrne a bâti sa notoriété avec patience et probablement sans calcul. Particulièrement remarqué à partir du film de Bryan Singer Usual Suspects (1995), il a tourné aussi bien dans de grosses productions que dans des films d’auteurs reconnus, comme les frères Coen (Miller’s Crossing), David Cronenberg (Spider), ainsi que dans de nombreuses séries. (On se souvient de lui dans le rôle du Jarl Haraldson dans la première saison de Vikings, en 2013). Pour nous, bien sûr, il reste inoubliable dans son premier rôle au cinéma, celui d’Uther Pendragon dans Excalibur, de John Boorman (1981), et dans celui du père de famille, traveller sédentarisé, dans Le Cheval venu de la mer, de Mike Newell (1992), dont le titre français comme le titre original, Into the West, sont évocateurs pour tout Celte un peu instruit de sa propre culture. Belle carrière, donc, mais qui cache bien des fêlures, des souffrances, qui se matérialisent dans un tempérament dépressif et, pendant des années, un alcoolisme assez destructeur. La tempérance lui a rendu la mémoire, il faut croire, et les souvenirs déferlent, pêlemêle, qu’importe la chronologie puisqu’il s’agit de la mémoire du cœur. Sa jeunesse à Dublin et ses alentours, dans une famille juste au-dessus du seuil de pauvreté, sa tentation de la prêtrise, ses premières amours, la maladie de sa sœur, ses moments les moins glorieux, les petits métiers, une vie errante gâchée par la boisson, puis l’attrait de la scène…

Dans l’enfance, aussi, des moments de grâce, comme ceux qu’il passe auprès de Mrs Gordon, une vieille dame qui lui transmet la mémoire de l’Irlande : la Grande Famine, la guerre civile, mais aussi les légendes : géants, changelins, fées, banshees et dullahans. (pp. 103-104). C’est cet arrière-plan culturel qui permet à Gabriel Byrne, bien plus tard, une réflexion sur son choix : « Pourquoi ai-je choisi cette vie ? La vie d’acteur. Était-ce le destin ? Peut-être que les signes annonciateurs étaient là dès le début. Dès le début, dans la vraie vie, j’avais été entouré d’acteurs, ceux du théâtre de la rue. […] Ainsi le conteur itinérant, avec son art de rythmer les récits : pause, chuchotements, débit qui tantôt ralentissait, tantôt s’accélérait. Avec son art d’introduire par moments de l’humour et de la tension. Il nous faisait croire aux géants, à la mort qui prenait la forme du vent, au dieu Balor, capable de faire virer au rouge les roseaux du lac par la furie de son œil unique. Mais le conteur avait vite été remplacé par le scintillement bleu et blanc des écrans de télé. » (p. 262).

Espérons que cet exercice de mémoire, qui l’amène notamment à évoquer ses parents disparus avec le regard de la maturité, lui aura servie de thérapie, lui qui a incarné le psychothérapeute de la série En analyse