LA CROIX, Emmanuelle Giulani, vendredi 24 février 2023


Biographies de compositeurs, romans mettant en scène des créateurs ou des interprètes, essais sur l’histoire de la musique… L’univers sonore emplit largement les rayons des bibliothèques. Et se fait aussi littérature, au détour d’un ouvrage qui pourtant n’a rien à voir avec le sujet. « L’air du vendredi », la chronique d’Emmanuelle Giuliani

Une écriture symphonique

Et soudain, au détour d’un texte puissant qui n’a rien à voir avec la musique puisqu’il retrace le parcours d’ouvrières des ateliers de soierie lyonnais à la fin des années 1860, un paragraphe vous saisit avec la vigueur d’une symphonie. Dans Il n’y aura pas de sang versé de Maryline Desbiolles (Sabine Wespieser Éditeur), nous rencontrons Toia, petite Piémontaise exilée dans la métropole industrieuse.

À la page 22, l’autrice évoque les paysages d’enfance que la jeune fille doit hélas abandonner : « Il y avait ce drap froissé de collines, ce mouvement très lent, très doux, du paysage, larghissimo, et syncopé tout à la fois comme la lumière fait s’avancer vers vous une de ces collines, la jette à votre tête ou l’éloigne au contraire (…) sans compter la nuit qui ramène le drap froissé sur votre tête, vous êtes en lui, vous êtes dans le paysage, il est immense et il se réduit à vos yeux fermés. »

N’y a-t-il pas là, tels que nous les écoutons les « yeux fermés », les puissants accords de Beethoven – le destin ou la liberté frappant à la porte ? Les flots sublimement instables, tendres ou violents de Brahms ? Les élans bucoliques, grinçants et tempétueux de Mahler ? Les brillances et les ombres alternées de Ravel ?

On imagine que d’autres lecteurs se sentiront ainsi transportés sur les ailes de la musique, dans un ravissement « larghissimo et syncopé ». La force des beaux textes est de nous offrir de riches correspondances, qui nous appartiennent en propre mais que l’on brûle de partager.

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