LA LIBRE BELGIQUE, Geneviève Simon, mercredi 6 juillet 2022


C’est pour célébrer les vingt ans de la maison fondée en 2002 par son éditrice française, Sabine Wespieser, que Claire Keegan lui a offert le texte de cette nouvelle, Misogynie, dont le titre anglais (So Late in the Day) a une portée plus fidèle au texte. Nouvelliste chevronnée, Claire Keegan (née en 1968 dans le comté de Wicklow) est une écrivaine délicate, qui excelle à sonder les âmes sur un mode intime. Ce genre de petites choses (2020), son précédent livre (une novella), retraçait le destin de celles qui avaient été cachées, incarcérées et forcées de travailler, pour cacher leur grossesse, dans les blanchisseries de Magdalene en Irlande, jusqu’en 1996. Bannies de la société, exploitées, elles y avaient perdu leur bébé, la vie ou un avenir qui aurait pu être autre.

En négatif
Dans Misogynie, l’on suit la journée ordinaire de Cathal. Ce 29 juillet, au bureau, il s’acquitte de sa tâche sans état d’âme : rendre des avis négatifs à des candidats qui sollicitaient une bourse en arts visuels. Et puis il rentre chez lui en bus, imperturbable ou presque, à peine distrait par un parfum qu’il reconnaît. Il rejoint le calme et la solitude de sa maison de Wicklow. Il y passera la soirée à regarder le premier documentaire venu à la télé.

En contrepoint se déroule son histoire avec Sabine, un Franco-Britannique que Cathal a rencontrée deux ans auparavant. Entre eux, les choses ont été abruptes et maladroites, de son fait à lui. Chaque étape de leur relation constitue dès lors, comme dans le cas d’un négatif, un élément permettant au lecteur de comprendre à revers le sens de cette journée. Car si l’essentiel est tu, on y parvient sans encombre grâce aux cailloux semés par Claire Keegan avec une rare intelligence.

Dans la bouche de Sabine, le mot misogynie prend le sens de ce qui « consiste à ne pas donner […] Que ce soit croire que vous ne devriez pas nous accorder le droit de vote ou ne pas nous donner un coup de main pour la vaisselle. »
Au final de cette journée qui se terminera aussi tardivement que loin de lui-même, ce que Cathal n’est pas vraiment prêt à admettre, le désastre est bien plus conséquent qu’il n’y paraît : Sabine, son élan de vie, sa formidable cuisine, sa générosité non feinte, lui auront renvoyé une image dévastatrice de lui-même. C’est aussi cruel qu’habilement manœuvré.