LA SEMAINE, Béatrice Arvet, Metz, jeudi 26 février 2015


« L’image manquante du père »

« Un homme lisant Scènes de la vie de bohème assis sous un réverbère va jeter la narratrice sur les chemins du passé. Avec son écriture sensitive, d’une fidélité indéfectible à ce qui a été, Michèle Lesbre retourne vers son enfance et tente de réveiller, cinquante après sa mort, l’image d’un père énigmatique.

[…] Plus étranger que l’envahisseur allemand pour la petite fille d’alors, il survit dans sa mémoire par bribes, une odeur de cuir et de tabac froid, une moto, des explosions de colère soudaines ou quelques rares scènes familiales. Au moment où elle doit faire le deuil d’une maison remplie de souvenirs de jeunesse que des amis propriétaires viennent de vendre, l’inconnu du réverbère renvoie Michèle Lesbre plus loin encore dans le temps, vers ses premiers pas sous les bombes et ce père rugueux et désenchanté qui vouait un culte au roman d’Henry Murger. Ayant accepté de séjourner dans la nouvelle résidence de ses amis, elle décide d’apprivoiser ce lieu sans mémoire en douceur, par quelques détours buissonniers, tout en s’attaquant à la lecture du livre de chevet de son père.

Au gré de rencontres, réelles ou imaginaires, manipulées à sa guise par la romancière, le voyage devient pèlerinage en même temps qu’un quête pour approcher cet intime étranger. […]

Sans cesser de profiter des moments qui se présentent, de créer des liens éphémères avec les personnages qui croisent sa route, Michèle Lesbre vagabonde, dans ses souvenirs, dans les parages de la maison qu’elle refuse viscéralement d’intégrer, dans les lieux de son enfance. Elle ne lâche rien au passé, lutte contre l’effacement, s’ingénie sans relâche à retenir ce qui se transforme, ce qui se perd, ce qui manque sans que nous y prêtions attention, ou alors trop tard. Son écriture en pointillés, en succession de séquences délicates, accompagne cette promenade autobiographique dans une France paisible où le temps semble suspendu. »