- Livre : Il n'y aura pas de sang versé
- Auteur : Maryline DESBIOLLES
- Article complet
- Revue de presse
LA STRADA, Evelyne Pampini, mars 2023
Un titre comme une prédiction, ou une promesse, ou un contrat tacite passé pour épargner. Maryline Desbiolles ravive notre mémoire collective dans un roman de toute beauté, avec sa langue si particulière pour évoquer un moment historique ignoré dans l’histoire avec un grand H de France : la première grande grève de femmes, il y a 154 ans.
1868. Quatre très jeunes femmes convergent vers Lyon, capitale de la soie. L’auteure les projette dans une course de relais imaginaire, dans son style inventif. Leurs passages de témoin s’accélèrent dans le roman pour aboutir à une révolte, la première révolte des femmes en France. Il y a Toia la Piémontaise, 15 ans à peine, arrivée en diligence dans « la grande, effroyable et incompréhensible ville« , qui ne sait ni lire ni écrire et ne parle pas français. Rosalie, originaire de la Drôme, mère malgré elle qui boite et aime danser, travailleuse acharnée pour nourrir son enfant, mais pas si docile qu’on croit. Marie, de Haute-Savoie, si vivante et joyeuse pour la galerie, si perdue dans un quartier mal famé. Et Clémence la Lyonnaise, qui n’encaisse pas la mort de son amie Suzette, fille-mère, et qui se lie d’amitié avec Amélie la rebelle.
L’urgence est la nécessité de gagner sa vie. Elles sont engagées comme ovalistes dans des ateliers de soierie dont les patrons ont fait miroiter salaire, hébergement et nourriture. Ces ouvrières sont soumises à de terribles conditions : 12h debout, un bruit incessant, un jour de congé, un salaire de misère – moins les frais de nourriture et de couchage dans des dortoirs sordides pour celles qui n’ont pas la « chance » d’avoir un garni (chambre insalubre louée à la journée), comme Clémence.
1869 sonne la révolte des ouvrières, menées par Philomène Rozan. Les maîtres mouliniers refusent d’entendre leurs revendications. Payées 1,40 francs par jour, elles réclament l’augmentation de leur salaire à 2 francs, comme les hommes, payées au temps, pas aux pièces, avec de meilleures conditions de travail et de logement. Nos quatre « relayeuses » deviennent parties prenantes d’un mouvement historique. « La ligne d’arrivée est la ligne de départ, mais aussi de tous les départs possibles, du commencement, puisqu’il s’agit de la première grève de femmes. » Les mots de Maryline Desbiolles s’envolent avec force, grâce et vérité, déroulant le mécanisme implacable de cette course vers l’émancipation. On ne peut que se reconnaître dans leur détermination, elles sont nos sœurs, nos ancêtres, et l’issue de cette révolte nous fait mal.
Il n’y aura pas de sang versé, mais il n’y aura pas de victoire, elles obtiendront si peu de la part d’une assemblée présidée par un homme. Pour autant leur courage a ouvert la voie à d’autres travailleuses. N’est-ce pas la plus belle des victoires ? Maryline Desbiolles a rendu leur place et leur honneur à ces oubliées de l’histoire. Merci.