LA VIE, Marie Chaudey, jeudi 9 septembre 2021


« Dans Milwaukee Blues, à sa manière très personnelle, l’écrivain Louis-Philippe Dalembert se saisit de la mort terrifiante du citoyen afro-américain George Floyd, dont le monde entier a vu le visage écrasé sous le genou d’un policier blanc de Minneapolis, en mai 2020. L’habileté de l’écrivain consiste à transposer le drame dans une ville du Wisconsin, Milwaukee, qu’il connaît comme sa poche pour y avoir enseigné – manière de montrer que les États-Unis sont entièrement gangrenés par le racisme systémique des institutions. Il crée ainsi son propre héros terrassé, Emmett. Et il le fait raconter – après l’étouffement en mondovision – par tous les protagonistes de l’histoire, de l’épicier pakistanais dénonciateur au flic assassin, mais aussi plus intimement par tous ses proches, amis d’enfance, enseignante, coach sportif, fiancée et ex-épouse.

Épopée brisée

De ces touches impressionnistes successives surgit peu à peu le portrait d’un modeste gaillard du Middle West, né dans le quartier ségrégué et déglingué de Franklin Heights, élevé par une mère pieuse, digne et hantée par la possible chute de son fils dans la délinquance. Comme tant d’autres jeunes Noirs, Emmett le baraqué tentera de sortir du ghetto par le foot, boursier recruté par une université du Sud. Mais sous trop forte pression, il ratera la sélection en Ligue nationale et devra enterrer ses rêves de réussite, retournant tête basse chez sa mère. De cette épopée brisée, Dalembert fait une formidable fresque emblématique des États-Unis d’aujourd’hui, nation qui perpétue les injustices découlant de l’esclavage, l’un de ses crimes fondateurs. Né en Haïti, Dalembert a vécu à l’ombre du grand voisin yankee et s’est forgé un regard de subtil décrypteur social et géopolitique. Il remonte aux racines du mal, fait défiler l’histoire raciale américaine sous nos yeux en la tricotant avec les revendications du peuple noir – nul hasard si son héros a hérité du prénom d’Emmett Till, l’adolescent du Mississippi abattu en 1955 pour avoir sifflé une jeune femme blanche, et devenu l’une des icônes du mouvement des droits civiques… »