LE FIGARO LITTÉRAIRE, Mohammed Aïssoui, jeudi 14 septembre 2023


Il y a quatre personnages forts dans le nouveau roman de Louis-Philippe Dalembert, quatre femmes: Laura, la plus jeune, née en 1965 ; sa mère, Elena ; sa grand-mère maternelle, Nonna Adélaïde, nommée la «Contessa» ; et Rachele, sa grand-tante paternelle, généreuse. Ce sont des êtres haut en couleur, de caractère, surtout la Contessa – un superbe rôle de méchante, d’irréductible… Mais le personnage qui tient le premier rôle n’est pas une femme ni un homme : c’est Rome. En racontant l’histoire d’une famille sur trois générations, Louis-Philippe Dalembert brosse le portrait de la Ville éternelle, portrait complexe, sans complaisance, terrible et beau. C’est qu’il la connaît bien cette cité, il l’aime. S’il y a des écrivains qui se contentent d’un court voyage pour écrire sur un pays, Dalembert, lui, y vit – il a passé une dizaine d’années à Rome. Il avait déjà publié Ballade d’un amour inachevé, qui prenait pour décor les Abruzzes, lors du tremblement de terre qui secoua la région en 2009.

Ici, l’histoire est ancrée dans la capitale italienne via le regard de Laura. Comme pour un conte, Louis-Philippe Dalembert écrit en préambule : « Nous sommes dans la Ville éternelle, sur les deux rives du Tibre, quelque part entre l’aube et la chute du XXe siècle. Ceci est le roman de la famille de Laura Sabatelli Guerrieri De Pretis. »

Le Tibre est un formidable symbole ; ce fleuve qui aurait sauvé les jumeaux Romulus et Rémus allaités par la louve, coupe Rome en deux : deux mondes qui presque s’opposent. Rive droite, la famille de Prati, l’aristocratie. C’est de là que vient Laura, elle désire sortir de cette société corsetée.

Sensibilité et acuité
En lisant le roman, on se demande si Dalembert n’a pas voulu écrire le livre des déclassés, ces aristocrates désargentés – leur nom a été rallongé pour faire meilleure figure. L’auteur met en scène trois générations qui, chacune à sa manière, tentent de cacher un appauvrissement. Il a fallu vendre aux enchères la bibliothèque historique. Les réceptions étaient données deux fois par semaine, puis une fois par mois à mesure que les finances se raréfiaient. Tel un ethnologue, Dalembert décrit avec minutie ces femmes (on a le sentiment que les hommes sont hors sol dans cette histoire), comment elles tentent de sauver les apparences, de rester debout, de préserver les traditions – la Contessa est furieuse quand le jour même où naît Laura, elle apprend que la sainte messe ne serait plus célébrée en latin sacré. Ces femmes déploient une énergie folle. Le mariage est souvent la solution, quand il ne sert pas de fuite vers un autre monde – Elena va découvrir la rive gauche en même temps qu’un mari de confession juive. Quand il s’agira de baptiser Laura, la Contessa va s’en mêler…

L’écrivain manie le récit avec sa sensibilité et son acuité ; on sourit par moments. Dans cette famille, on se transmet plus aisément ses névroses que sa fortune. Seule Rome ne change pas : « La capitale aux sept collines bouillonnait d’une vitalité à la fois antique et nouvelle. »