LE MATRICULE DES ANGES, Virginie Mailles Viard, septembre 2022


Elle doit ressembler à son père, malgré elle. Elle le sent venir. Elle sait esquiver. « Mon corps est un radar. »
Contrairement à sa mère et à sa sœur, elle ne prend jamais de coups directs. Jusqu’au jour où, du haut de ses huit ans, elle s’adresse à lui avec un « cher ami ». Elle l’avait entendu dans la bouche du médecin du village, le gentil docteur Fauchère. Ce « cher ami » déclenche « la bestialité d’un homme, un père, le mien » et signe « le premier tir de notre combat, qui ne se terminerait même pas avec la mort ». Est-ce que le docteur, plus éduqué que les habitants de ce village « rustaud », va les sauver, les libérer du monstre ? A-t-il vu que ces marques ne sont pas de celles que l’on se fait en tombant ? Sait-il, comme tout le village, que le père est un tyran, qu’il viole la sœur aînée, sa « préférée » ? Il faudra l’intervention d’une professeure pour que Jeanne parte dans un internat, mais les tourments sont trop puissants : « Ma colère, compagne éternelle, éventrait mon estomac. » Comment échapper à cette emprise du mal, et surtout comment pardonner à ceux qui savaient.
Tout change et rien ne change. Jeanne grandit, elle part à Lausanne. Ni la rencontre et l’amour de Marine, de Paul, ni les études, ni la beauté du lac Léman – « ce lac a récuré ma peine » – n’y font rien. Jeanne ne peut pas oublier. Elle refuse les liens, et se montre dure avec les autres et avec elle même : « je suis devenue métallique, factuelle, je me suis caparaçonnée ». Le suicide de sa sœur, les menaces de son père, ne lui laissent d’autre choix : « Vivre ou crevé, j’avais décidé. » À venir la révolte qui gronde.

La réussite de ce premier roman est cette variation autour d’un même thème, la violence du père qui s’insinue partout au fil des années, mais aussi cette plongée dans ce que l’on refuse de voir, ce que l’on n’explore pas : le jusqu’au-boutisme de Jeanne est à la mesure du silence social abyssal qui a entouré son enfance violentée. « L’homme est plus petit que lui-même » c’est cette pensée de Günther Anders qui nous poursuit tout au long de Sa préférée.