LE NOUVEL OBS, Elisabeth Philippe, mardi 24 septembre 2024


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Dans ce texte resserré, profondément humain et lumineux, l’autrice éclaire une partie de l’histoire de France.

« Mon chien n’aime pas les Arabes. » La phrase hante et tourmente Emma. Jetés par le maître du molosse qui lui a broyé la jambe, ces mots font vaciller l’adolescente plus encore que la morsure qui a broyé sa fibula et lui a fait frôler l’amputation. Emma, qui aimait tant courir dans « l’argenture des collines » de l’arrière-pays niçois, Emma qu’on surnommait l’athlète et dont on se disait qu’elle avait dû être « pourvue à la naissance de sandales ailées ». Sa course a été stoppée net par les crocs qui se sont enfoncés dans sa chair. Mais Emma n’en veut pas au chien. Elle le pleure, même, lorsqu’elle apprend qu’il a été euthanasié. Elle cherche en revanche à comprendre ce qui en elle peut inspirer la haine.

D’une écriture au lyrisme véloce, qu’on croirait elle aussi portée par des « sandales ailées », Maryline Desbiolles compose une tragédie contemporaine, avec une héroïne claudicante comme Œdipe et un chœur dont les commentaires se fondent au récit. En un texte resserré, profondément humain et, contre toute attente, lumineux, l’autrice d’Anchise  (prix Femina, 1999), éclaire une partie de l’histoire de France, la colonisation, les Kabyles et les harkis parqués dans des camps dans le sud du pays, à leur arrivée en 1962.  L’Agrafe, prix du Livre du « Monde », montre la façon dont cette mémoire, souvent tue ou occultée, habite les corps.