LE SOIR (Belgique), Pierre Maury, jeudi 29 août 2024


Marilyne Desbiolles et la jeune fille qui courait et ne court plus ****

Derrière le double drame de L’Agrafe, Maryline Desbiolles cherche et trouve une explication.
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Sa pré­sence bondissante s’impose dans L’Agrafe. Maryline Desbiolles y retrace l’histoire d’une jeune fille qui est vouée à un avenir moins lumineux qu’il y pa­raissait quand on a pris la mesure de ses dons de sportive, quand on a su com­ment, au club d’athlétisme, près de Nice, elle excellait du 100 au 400 mètres et « déploierait bien mieux l’art de la course hors piste, sur les routes et les chemins » tant elle inscrit sa trajectoire dans les paysages aux­ quels elle semble appartenir, jusqu’à leur apporter par sa présence un sup­plément d’âme.

Mais deux ruptures se produisent, an­noncées avant de survenir. La première touchera directement l’athlète en deve­nir : « Avant l’été sa jambe sera massa­crée. » La seconde provoquera la mort d’un homme, lynché par une meute de Blancs, on ne sait pas vraiment pour­ quoi : « Il ne sera pas un migrant, il ne sera pas blanc non plus. Pas migrant, pas arabe, pas connu, pas net, pas blanc. »

Deux faits divers, en somme, assez pour infléchir autant de vies. C’est un chien qui s’en prend à la jambe d’Em­ma. Elle a à peine pris conscience de ce qui lui arrivait quand l’animal l’atta­quée. Parce que, et c’est sous ­entendu plus que dit, le chien n’est pas le princi­pal protagoniste de la scène même si c’est bien lui qui a réduit un os en miettes. Ce chien, « elle ne l’entend pas aboyer ni grogner, elle n’entend pas Sté­phane dévaler les escaliers ni la télé vo­ciférer, mais elle entend distinctement le père de Stéphane dire Mon chien n’aime pas les Arabes, et la phrase la tourmente, oui, plus que le chien, la phrase la tourmente. »

Il y aurait donc des chiens racistes et leurs maîtres n’y seraient évidemment pour rien. Voilà ce qui remue, à la lec­ture, plus violemment que si tout était expliqué en long et en large, il y a cette affirmation du père de Stéphane, désen­gagé de toute responsabilité, de toute prise de position, tranquille en somme… […]

Maryline Desbiolles utilise les manques, les emboîtements approximatifs, pour bien faire com­ prendre que les récits trop simples sont trompeurs. « Il y a du jeu. Des disjonc­tions. » Les bribes sont une vérité plus nuancée que leur réorganisation artificielle. L’agrafe, dont on n’a pas précisé qu’il s’agit ici du péroné, en est une ma­gistrale démonstration.

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