L’EXPRESS, Marianne Payot, mercredi 24 septembre 2014


« Crépuscule haïtien »

« Le petit État caribéen à travers trois générations de paysans. Un roman poétique et politique signé Yanick Lahens.
En 1960, un médecin de campagne qui parlait tête baissée, d’une voix nasillarde de zombi, et portait un chapeau noir et d’épaisses lunettes arrive au pouvoir, avant de, trois ans plus tard, recouvrir la ville d’un grand voile noir. Dans le petit village d’Anse Bleue comme à Port-au-Prince, on se débat avec le régime de Duvalier. Mais on y lutte aussi contre la terre, les eaux et le soleil. Ici comme partout en Haïti, vivre et souffrir sont une même chose, signale le narrateur de Bain de lune, le beau et poétique roman de la Haïtienne Yanick Lahens, auteur de La Couleur de l’aube.
Chez les Dorival, humble famille de pêcheurs, on déteste de père en fils les Mésidor, cette lignée de mécréants qui n’a cessé de convoiter les terres, les biens et les femmes des autres. De père en fils, mais pas de père en fille. Voilà qu’Olmène, à peine pubère, s’entiche du quinquagénaire Tertulien. De quoi s’attirer les foudres des divinités, et aussi se faire bâtir une case en dur, la première du village. Pour échapper à la misère, rythmée par les ouragans et les terribles sécheresses qui leur succèdent, tous les moyens sont bons pour la fratrie Dorival : Léosthène, qui rêve de la République dominicaine, ou de Cuba, finit par atterrir à Miami, et Fénelon revêt l’uniforme bleu (des tontons macoutes), sous l’œil sévère du père Bonin, valeureux prêtre aux prises avec les Invisibles et les trop visibles miliciens qui gangrènent le pays.
En 280 pages, trois générations de paysans et une multitude de tableaux impressionnistes défilent sous la plume de l’élégante diplomée de la Sorbonne. Qui nous fait comprendre, mieux qu’une foule de traités, l’incroyable ressort du peuple haïtien face aux colères de la nature et à la folie des hommes. »