LIVRES HEBDO, Laëtitia Favro, janvier 2023


L’été meurtrier

Jan Carson imagine une communauté éprouvée par un mal mystérieux s’attaquant aux camarades d’une même classe, à l’exception d’une petite fille.

À Ballylack, paisible bourgade de l’Ulster, l’été 1993 s’annonce semblable aux précédents. Les enfants jouent près des balançoires, les tondeuses bourdonnent. Oui, « 1993 ressemble à tous les étés de Ballylack ». Jusqu’à ce qu’un premier enfant meure. Ross McCormick, « un enfant maladif ». La communauté est en émoi mais se range au diagnostic des médecins : une fièvre glandulaire aura eu raison de la mauvaise santé de l’enfant. Mais quand la petite Kathleen est elle aussi emportée par la mystérieuse maladie, puis les jumelles Miriam et Elizabeth, la psychose l’emporte. Un à un, les camarades de classe d’Hannah disparaissent. Aux yeux de tous sauf de la jeune fille, qui croise bientôt leurs fantômes, de nuit dans la salle de bains ou dans la voiture de ses parents. Pourquoi Hannah est-elle la seule à être épargnée ? La seule à qui ses camarades défunts choisissent d’apparaître ?

À Ballylack, déjà éprouvée par les « Troubles » qui embrasent chaque été l’Irlande du Nord, la rumeur grandit, renforcée par l’arrivée de scientifiques et de journalistes, qui font du drame une affaire nationale. La communauté se fissure : « une partie de Balllylack pense fermement que certaines personnes s’attirent les ennuis qu’elles méritent. » Quand certains crient justice, d’autres questionnent la force de leur foi. Absorbant chaque dimanche « l’Apocalypse comme une petite éponge », Hannah s’est souvent retrouvée isolée des enfants de son âge en raison du protestantisme rigoriste de ses parents. Est-ce pour cette raison que les morts choisissent de se manifester à elle, et lui révèlent un indice qui pourrait bien renfermer la clé de l’énigme ?

Née à Ballymena en Ulster, Jan Carson récrée dans Les Ravissements une communauté dont le nom et le conservatisme ne sont pas sans rappeler sa ville d’origine. Suivant Hannah dans son quotidien ou navigant dans Ballylack, l’écrivaine s’insinue dans les foyers pour en observer les croyances, les coutumes, mais aussi les mauvaises pensées. Adoptant les tics de langage des personnages qu’elle visite, sa plume nous plonge dans l’intimité d’une société semblable à tant d’autres, décryptant ses réactions face à l’avancée du fléau. Entre roman de mœurs et récit policier nourri de réalisme magique, Les Ravissements se joue de nos peurs et d’un matérialisme auquel nous sommes tentés de nous raccrocher à tout prix quand survient l’inconnu.