LUXEMBURGER WORT, Sophie Guinard, samedi 12 et dimanche 13 mai 2018


« Métamorphose d’une voyageuse aventureuse »,

« Clarence Boulay signe un premier roman magnifique.
Tristan da Cunha est un confetti posé sur l’eau aux confins de l’Atlantique Sud, perdu entre l’Afrique du Sud et le Brésil. Ida et son compagnon Léon, en quête d’autres horizons, ont décidé d’y passer six mois pour une parenthèse aventureuse et culturelle. Petite déception, il ne restait qu’une seule place à bord du langoustier qui fait la liaison entre le Cap et Tristan. Le tirage au sort a désigné Ida, Léon la rejoindra avec le prochain bateau, dans deux mois environ. Embarquée pour sept jours de traversée, Ida se met alors à l’unisson d’un océan grandiose.

Le voyage se passe entre observation du ballet des albatros, contemplation des éléments et impatience… Quand elle débarque enfin, elle est subjuguée par la puissance qui se dégage du paysage avec son volcan, le vert de ses collines et surtout son silence assourdissant. Elle est tout de suite bien accueillie dans la petite communauté de quelques centaines d’âmes et loge chez Mike et Véra. Pour occuper ses journées elle dessine et peint, court, apprend à tricoter, s’ennuie… Pour les étrangers comme elle, les occupations sont très très limitées… Alors quand Saul, à la suite d’une marée noire sur l’île aux Oiseaux à quelques miles de Tristan, lui propose de se joindre à sa petite équipe de trois personnes pour sauver les oiseaux mazoutés et nettoyer les rochers, elle saute sur l’occasion. S’ouvre alors un univers parallèle, aventure dans l’aventure, exil dans l’exil, fait d’encore plus de liberté, d’encore plus de grands espaces, d’encore plus de beauté, de retour aux sources, d’oubli et d’amour… “Il est des espaces où tout vacille. Où tout fout le camp. Les certitudes, les envies, les soifs d’avant. Tout se dilate […], se dissout absolument.” Et quand le mauvais temps coupe l’îlot du reste du monde, cette bulle hors du temps se transforme alors en huis clos magique et effrayant. Elle n’en sortira pas indemne…

Clarence Boulay, jeune auteure de trente-quatre ans, a elle-même passé huit mois sur ce rocher parachuté dans l’océan qu’est Tristan. Son écriture, légère et forte à la fois, toute en finesse et en suggestivité, est en totale harmonie avec la vision qu’elle nous donne de l’île, un lieu hors du temps, fascinant et envoûtant. Hymne aux grands espaces sauvages et encore préservés – ses conditions climatiques extrêmes la laissent en dehors du circuit des escales –, et hommage à une population aussi chaleureuse que secrète, à son indispensable autarcie et à son mode de vie encore et toujours lié aux éléments, Tristan apparaît ici plus qu’un décor mais un personnage à part entière de ce premier roman. Il partage la vedette avec Ida dont le portrait est dressé avec beaucoup de sensibilité.

En arrivant dans un lieu inconnu et en n’y connaissant personne, elle pensait ouvrir une page blanche sur laquelle toutes les aventures semblaient possibles. Mais l’histoire qui va s’écrire ira bien au-delà de ce qui avait été prévu. Après l’euphorie de la découverte de l’île, la magie d’un nouvel amour, une vague culpabilité, elle ne sait plus qui elle est et doute. Et le temps va s’étirer, s’étirer… En refermant ce roman, que l’on peut aussi voir comme un carnet de voyages – géographique et intérieur –, une brutale envie de larguer les amarres nous saisit… »