- Livre : Misogynie
- Auteur : Claire KEEGAN
- Revue de presse
MEDIAPART, Frédéric L’Helgoualch, mardi 28 juin 2022
Misogynie : les noces suspendues de Claire Keegan
Et Claire Keegan de faire son miel de ce genre de petites choses, sans jamais avoir recours à la novlangue lourdingue de l’époque, poussant le lecteur porteur du chromosome Y à s’interroger sur lui-même.
« Il avait senti la possibilité de plaisanter, de désamorcer ce qui s’était dressé entre eux, mais le moment était passé et il l’avait alors regardée détourner la tête. C’était le problème avec les femmes qui cessaient de vous aimer : le voile de l’enchantement se dissipait et elles voyaient clair en vous. »Quel plaisir, après son lumineux conte de Noël de 2020, de retrouver la plume acérée et leste de Claire Keegan ! Le regard plus perçant que jamais, l’esprit éduqué à la concision, maîtrise de l’art de la nouvelle oblige (snobisme sot des Français pour ce genre magnifique tant apprécié des Anglo-saxons. Que de perles qu’ils ne connaîtront jamais !), l’écrivaine irlandaise abandonne les ombres du couvent de la Madeleine pour entraîner cette fois le lecteur sur les pas de Cathal, employé de bureau dublinois en proie à un solide vague à l’âme en cette journée singulière.
Jour de noces, les siennes, mais voici Cathal pourtant affalé sur son sofa devant un documentaire contant le destin de Lady Di., plutôt qu’en smoking avec sa belle sur la piste de danse d’une salle des fêtes du comté de Wicklow. Chaque geste du quotidien, nimbé d’ennui et de malaise, devient signifiant aujourd’hui.
La blanche colombe Spencer s’avance, timide, sans doute persuadée de vivre un conte de fée, voilée et rougissante devant le monde en transe, rêves de pureté, d’appellations d’origine contrôlée comme pour conjurer d’obscures peurs secrètes, tapant dans ses mains pour encourager la belle à accepter son sort de génisse royale. Devant l’autel saint, le reproducteur à sang bleu et oreilles décollées, fils-à-maman obéissant. Son regard à lui cherche dans la foule son rustique amour de jeunesse, le cœur serré. God save the Queen, elle portera !
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