- Livre : Il n'y aura pas de sang versé
- Auteur : Maryline DESBIOLLES
- Article complet
- Revue de presse
PAGE DES LIBRAIRES, Alexandra Villon (librairie La Madeleine à Lyon), printemps 2023
Une chambre à soi
« Après Charbons ardents, Maryline Desbiolles s’intéresse dans Il n’y aura pas de sang versé à un événement de l’histoire sociale lyonnaise quasiment effacé des mémoires, caché dans l’ombre de la Révolte des Canuts : la première grève de femmes de l’Histoire, en 1869, menée par les ouvrières « ovalistes ».
Elles sont quatre à s’avancer sur la piste et dans les gradins des centaines : voilà les «ovalistes ». Toia est piémontaise, a 15 ans et vient tout juste d’avoir ses règles. Rosalie, la boiteuse, vient de Nyons sans la Drôme. Marie vient de Quincy, en Haute-Savoie, où elle travaillait avec son père dans les alpages, là où un coup de faucille lui a tranché la main. Clémence, quant à elle, vit à Lyon, là où toutes arrivent à leur tour pour travailler dans les usines de soie aux ateliers de moulinage. Leurs parcours vont mener ces ovalistes, ces bonnes filles sans qualificatif autre que la forme du lieu où elles travaillent (un moulin), sur une ligne d’arrivée qui signe le début d’une révolte de taille : la première grève des femmes en 1869.
Leurs revendications sont simples : l’augmentation des salaires, à aligner sur celui des hommes, la diminution du temps de travail journalier de 12 h à 10 h et la possibilité – peut-être la plus importante et la plus symbolique – de ne plus avoir à partager un lit et un dortoir avec les autres, mais d’avoir un lieu, une chambre à soi, sans que ne soit soupçonnée leur moralité. Leurs exigences, parce que ces femmes n’étaient rien, ne savaient ni lire ni écrire, ne furent que très peu écoutées. Maryline Desbiolles, en redonnant voix à ces ovalistes qui n’étaient pas entendues parce qu’elles n’avaient pas les mots, leur redonne la place qu’elles méritent. Pour faire valoir leurs droits, ces femmes dépourvues d’instruction et d’« armes » se décidèrent à sortir de leurs gonds en bande groupée et solidaire, à s’émanciper et à se libérer du joug des patrons et des maris. Pas de sang versé dans cette révolte des ovalistes, autre que celui de leur corps de femmes déjà porteur d’une violence intrinsèque à la société patriarcale dans laquelle elles tentèrent pourtant l’impossible, mais premier sursaut de révolte féministe et sociale. Ce fut un échec, certes, mais sans précédents et pas sans suites.
La plume de Maryline Desbiolles court sur les pages, saccadée par les différentes voix qu’elle porte, redonnant vie à ces personnages oubliés et permettant une fois de plus à la littérature de remplir son devoir de mémoire. »