RCF, « L’Actualité littéraire », Christophe Henning, jeudi 12 novembre 2020


Ce livre met en lumière le drame de jeunes femmes exploitées par des religieuses, révélé au grand jour par un marchand de charbon.

C’est une sale affaire et un magnifique récit… Un beau texte qui nous dit qu’il y a, au fond de l’âme humaine, une bienveillance inaltérable. La mauvaise histoire d’abord : en Irlande, durant tout le XXe siècle, des jeunes femmes et très jeunes filles étaient retenues, séquestrées dans les « couvents Madeleine », en raison de leur mauvaise conduite, entendez par là, le fait d’avoir été enceintes hors mariage, quand ce n’était pas victimes de viol.

Sous la surveillance intraitable des religieuses, elles accouchaient sans qu’on sache vraiment ce que devenaient les bébés, probablement éliminés ou vendus, selon les époques. Le drame ne serait pas complet si ces centaines de femmes souvent abusées n’étaient exploitées pour faire tourner les « blanchisseries Madeleine ». Une entreprise inimaginable menée avec la complicité de l’Église et de l’État, qui a fini par éclater après des dizaines d’années. La dernière blanchisserie a fermé en 1996.

Le récit de Claire Keegan met en scène un marchand de charbon, qui doit effectuer une livraison au couvent à quelques jours de Noël 1985. Et, par le plus grand des hasards, croise une fille recroquevillée dans la réserve… Il a tout à perdre à se mêler de ce qui ne le regarde pas, et des générations d’Irlandais ont fermé les yeux sur ce scandale. Notre héros a bien du mal à tenir sa petite entreprise et subvenir aux besoins de sa famille.

Il faut faire face aux problèmes et Furlong ne sait plus comment faire : « Une partie de lui aurait voulu que ce soit lundi matin pour qu’il puisse s’absorber, conduire au long des routes et se perdre dans la mécanique de la semaine de travail. Les dimanches pouvaient donner une grande sensation d’usure, et de nerfs à vif. » La lourdeur du quotidien est percutée par cette découverte : peut-il laisser cette femme enfant dans un tel état d’abandon ? En intervenant, il parvient à ce qu’elle soit un peu mieux traitée : « Elle regarda pas la fenêtre, respira et se mit à pleurer, comme les personnes inaccoutumées à la moindre gentillesse le font quand on leur en témoigne pour la première fois ou de nouveau. » Dès lors, un vrai combat intérieur s’instaure.

Une prise de conscience qui empêche en quelque sorte notre homme de revenir en arrière. C’est ce qu’il explique avec la foi du charbonnier : « Est-ce possible de continuer durant toutes les années, les décennies, durant une vie entière, sans avoir une seule fois le courage de s’opposer aux usages établis et pourtant se qualifier de chrétien, et se regarder en face dans le miroir ? » Il risque gros en venant en aide aux blanchisseuses de La Madeleine, il sera montré du doigt pour avoir révélé le scandale, il n’aura plus de commandes, mais il ne peut plus faire marche arrière, n’a plus peur d’affronter l’institution, les religieuses : « Assurément, elles n’ont que le pouvoir que nous leur donnons », lâche-t-il.

« Ce genre de petites choses » est un petit livre d’une bonne centaine de pages, une écriture sobre, sans pathos et d’autant plus percutante. L’histoire d’un homme qui redresse la tête et sauve ce qu’il reste d’humanité dans ce village irlandais. « Ce genre de petites choses », de Claire Keeman, traduit par Jacqueline Odin, est publié par Sabine Wespieser.

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