- Livre : Victor Dojlida, une vie dans l'ombre
- Auteur : Michèle LESBRE
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- Revue de presse
REMUE.NET, Claudine Galea, lundi 11 février 2013
« Juste la vie, une lecture de Michèle Lesbre »
« Les éditions Sabine Wespieser republient un texte qui date de 2001, Victor Dojlida, une vie dans l’ombre. Une autre figure d’homme l’habite, mais cette fois ce n’est pas un contrepoint, Victor Dojlida occupe le livre dans toute la brutalité de son destin. Émigré de Biélorussie, résistant à quatorze ans en Lorraine, déporté. À dix-sept ans, au retour des camps, il casse la gueule au policier qui l’a dénoncé à la Gestapo. C’est la prison, l’engrenage du malheur et de la souffrance, une vie brisée jusqu’à la sortie en 1989, à soixante-quatre ans, puis la maladie et la mort huit ans plus tard. Michèle Lesbre a rencontré Dojlida à sa sortie de prison jusqu’à sa mort.
La même économie de langue forme la matière de ce livre. Tout n’est pas dit, mais il est donné à penser, à ressasser, à méditer, à imaginer. Longues ellipses, trous noirs, comme ces parenthèses dans lesquelles la taule enferme une vie et la met en sourdine, absence de reconstitution, choix de dire un homme par des moments, fractures, trous, colères, rappels d’histoire politique et sociale. Et éloge d’une vie : Victor Dojlida ne s’est pas effondré, ne s’est pas repenti, ne s’est pas autodétruit. Il a tenu bon, avec pour ligne d’horizon une foi sauvage en la justesse de son trajet. On ne parlera pas ici de justice, elle ferait entrer une vague de sentimentalité qui affaiblirait et l’homme et le récit. Or Dojlida et Lesbre partagent la même façon de se tenir droit et debout, cherchant le geste et le mot qui empêchent de tomber.
Ce livre a des résonances non avec l’actualité mais avec l’éternité des temps humains : travail, exploitation, étrangers, droit du plus fort, solitude, humiliation, trahison, révolte, résistance, luttes, espoir. J’ai toujours eu peur de l’oubli, cette grande nuit aveugle, écrit Michèle Lesbre dans son récit autour de Victor Dojlida.
L’oubli est plus que la mort, une absence à soi-même. Écrire fracture les portes les plus inébranlables, quand il s’agit de rester vivants. »