REPASGASTROMIQUEUNESCO.FR, vendredi 4 mai 2018
« Des hommes, des produits, des histoires : L’histoire des mères lyonnaises »
« – Qui étaient ces « mères lyonnaises » immortalisées par l’histoire gastronomique française, mais finalement peu connues du grand public ?
– […] Le fait d’être leur propre patronne, de régner, à l’égal d’un artisan, sur leur lieu de travail, de décider de tout – du menu, du marché, des clients – avait quelque chose d’extraordinaire, au sens littéral du terme. Et sûrement le devinaient-elles. La plupart d’entre elles n’ont pas songé à leur notoriété : qu’il s’agisse d’un restaurant étoilé ou d’un bistrot, elles s’étaient construit leur royaume et cela suffisait. Pour ces cuisinières, que les restaurateurs lyonnais ont longtemps affublées du sobriquet de « cuisinettes », le fait d’avoir réussi à monter leur affaire, était, en soi, une victoire. Pas question d’en rajouter. L’histoire officielle n’a pas gardé trace des « mères », sinon comme label un peu kitch, à vocation touristique, à l’instar des « bouchons ». Ils sont pourtant nombreux, et pas seulement à Lyon, à se souvenir des « mères ». Elles les ont nourris et ils les ont aimées. Anciens clients et habitués, gens du quartier ou gastronomes de passage : cette mémoire populaire reste, aujourd’hui encore, étonnamment vive et précise.
– Quel rôle ont-elles joué dans l’histoire culinaire de Lyon ?
– […] L’irruption des femmes dans le monde de la restauration s’est faite, en partie, via les « mères ». C’est leur premier apport à l’histoire culinaire. Des femmes aubergistes, il y en a eu beaucoup dans les campagnes, de la Bretagne à l’Auvergne. Mais en ville, c’est à Lyon, idéalement située géographiquement, qu’une telle concentration, dû peut-être aussi au compagnonnage, a existé. […]
– Même si l’on suppose qu’à l’image du personnage principal de Mangées, Etienne Augoyard, vous avez mené un véritable travail de recherche dans les archives, pourquoi avoir opté pour une forme romancée ?
– Mangées n’est pas un livre de cuisine, ni une thèse sur les « mères lyonnaises », ni un strict roman. La fiction y tient un rôle moteur, c’est elle qui donne son souffle au récit, mais la part documentaire est essentielle. La mémoire n’est pas une science exacte, elle trébuche : dans le cas de ces femmes cuisinières, dont il reste si peu de traces écrites, cette faiblesse de la mémoire est un élément très important. Il fallait le montrer et ne pas faire semblant de tout savoir, de tout maîtriser, posture courante du journaliste. […] Le recours à la fiction était indispensable, non seulement pour réparer les déchirures de la mémoire, mais pour jouer de ces déchirures et saisir la vie de ces femmes dans leur vérité. […] Sans ce travail d’imagination, sans cette part subjective, « romanesque », leurs silhouettes seraient restées floues. Or, mon but, c’était de les voir de mes yeux, les voir vivre, bouger, cuisiner – et les donner à voir aux lecteurs. Mélanger récit et fiction m’a permis de mettre en lumière, sans jamais les idéaliser, ces femmes méconnues, oubliées, « mangées ». Et de leur rendre hommage, à ma façon. »
– […] Le fait d’être leur propre patronne, de régner, à l’égal d’un artisan, sur leur lieu de travail, de décider de tout – du menu, du marché, des clients – avait quelque chose d’extraordinaire, au sens littéral du terme. Et sûrement le devinaient-elles. La plupart d’entre elles n’ont pas songé à leur notoriété : qu’il s’agisse d’un restaurant étoilé ou d’un bistrot, elles s’étaient construit leur royaume et cela suffisait. Pour ces cuisinières, que les restaurateurs lyonnais ont longtemps affublées du sobriquet de « cuisinettes », le fait d’avoir réussi à monter leur affaire, était, en soi, une victoire. Pas question d’en rajouter. L’histoire officielle n’a pas gardé trace des « mères », sinon comme label un peu kitch, à vocation touristique, à l’instar des « bouchons ». Ils sont pourtant nombreux, et pas seulement à Lyon, à se souvenir des « mères ». Elles les ont nourris et ils les ont aimées. Anciens clients et habitués, gens du quartier ou gastronomes de passage : cette mémoire populaire reste, aujourd’hui encore, étonnamment vive et précise.
– Quel rôle ont-elles joué dans l’histoire culinaire de Lyon ?
– […] L’irruption des femmes dans le monde de la restauration s’est faite, en partie, via les « mères ». C’est leur premier apport à l’histoire culinaire. Des femmes aubergistes, il y en a eu beaucoup dans les campagnes, de la Bretagne à l’Auvergne. Mais en ville, c’est à Lyon, idéalement située géographiquement, qu’une telle concentration, dû peut-être aussi au compagnonnage, a existé. […]
– Même si l’on suppose qu’à l’image du personnage principal de Mangées, Etienne Augoyard, vous avez mené un véritable travail de recherche dans les archives, pourquoi avoir opté pour une forme romancée ?
– Mangées n’est pas un livre de cuisine, ni une thèse sur les « mères lyonnaises », ni un strict roman. La fiction y tient un rôle moteur, c’est elle qui donne son souffle au récit, mais la part documentaire est essentielle. La mémoire n’est pas une science exacte, elle trébuche : dans le cas de ces femmes cuisinières, dont il reste si peu de traces écrites, cette faiblesse de la mémoire est un élément très important. Il fallait le montrer et ne pas faire semblant de tout savoir, de tout maîtriser, posture courante du journaliste. […] Le recours à la fiction était indispensable, non seulement pour réparer les déchirures de la mémoire, mais pour jouer de ces déchirures et saisir la vie de ces femmes dans leur vérité. […] Sans ce travail d’imagination, sans cette part subjective, « romanesque », leurs silhouettes seraient restées floues. Or, mon but, c’était de les voir de mes yeux, les voir vivre, bouger, cuisiner – et les donner à voir aux lecteurs. Mélanger récit et fiction m’a permis de mettre en lumière, sans jamais les idéaliser, ces femmes méconnues, oubliées, « mangées ». Et de leur rendre hommage, à ma façon. »