RTBF, Sophie Creuz, lundi 30 avril 2018


« Musiq3 : chronique littérature »

« – C’est un roman qui paraît cette semaine chez Sabine Wespieser éditeur, que vous avez lu pour nous. C’est Le Bleu du lacde Jean Mattern.
– C’est un court roman, dont la lecture, on l’imagine, dure le temps du trajet en métro qu’accomplit la narratrice entre sa résidence de Wimbledon et le centre de Londres. Il s’agit d’une brillante pianiste qui a cessé sa carrière et, si elle va à Londres, se produire à nouveau en public, c’est pour les 5 minutes que dure l’intermezzo n° 2 opus 117 de Brahms et que son amant, dans ses dernières volontés, lui a demandé de jouer.
– Et c’est à son enterrement donc qu’elle se rend ?
– Oui, l’enterrement de l’homme qu’elle a passionnément aimé, en secret car elle est mariée, célèbre, et heureuse d’ailleurs en mariage. Mais il y a vingt ans, alors qu’elle jouait cet intermezzo au Wigmore Hall, un bel homme a planté ses yeux dans les siens en lui faisant un aveu, parfaitement inavouable sur antenne. Cet homme, un musicologue brillant est devenu son amour. Le langage de la musique, la sensibilité d’un clavier bien tempéré, ont mis le feu à des émotions pas tempérées du tout.
– Et c’est le récit de cette passion amoureuse et musicale que ce roman nous raconte ?
– Oui, mais Jean Mattern, qui signe-là son cinquième roman, explore aussi d’autres thèmes qui le hantent. Que reste-t-il des êtres disparus ? Que fait-on des non-dits, des secrets ? Comment traduire en une phrase continue, les détails, les moments, les fragments du passé, qui surnagent ?  S’ils ne sont pas ressoudés à la vie, ne risquent-ils pas de tourner indéfiniment autour de nous, comme des météorites, et de nous percuter ? Ce qu’il interroge, je crois aussi, à travers ce roman, c’est cette question : que faire de la douleur de la perte ? Est-ce que nous devons sombrer avec elle ou renaître par elle ? Ce qui reliait la pianiste et son amant était charnel, tangible. Cela disparu, il ne reste rien, que des souvenirs qu’elle ne peut partager avec personne, puisque leur relation était secrète.
– D’où ce livre en forme de monologue ?
– Oui, c’est la confidence intérieure à laquelle elle se livre pendant ce trajet de métro, ses pensées se chevauchent entre mélancolie et jouissance d’avoir encore présent à l’esprit celui qui bientôt ne sera plus là. Et puis il y a les faits concrets, sa robe qui gratte, sa peur d’arriver en retard, qui se superposent aux souvenirs de cet amour qui s’accordait parfaitement et sans explication. Une harmonie rompue brutalement et pourtant… nous découvrons que cette douleur ne la terrasse pas.
– À votre avis, que veut dire l’auteur, que la musique ou l’amour laissent quelque chose à ceux qui l’ont vécu intensément ?
– Peut-être que cela ne disparaît pas, qu’on continue à être habité par cette beauté inexplicable qui nous tombe dessus et nous garde vivant. Elle met en mouvement en tout cas cette femme, vers autre chose, vers d’autres désirs. Il n’est pas question de morale ici, ce n’est pas le récit d’un adultère dont il s’agit, mais d’un questionnement sur la plénitude, sur l’altérité, sur la liberté de chacun aussi. Non sans malice, parce que l’auteur ménage une surprise, un contrepoint inattendu qui termine le roman, sans le finir d’ailleurs, à la manière peut-être de cet Intermezzo n° 2 de Brahms. »