- Livre : Le Dernier Mouvement
- Auteur : Robert SEETHALER
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- Revue de presse
TÉLÉRAMA, Christine Ferniot, mercredi 23 février 2022
Dans la lumière de l’aube, on distingue la mer grise et cet homme emmitouflé dans une chaude couverture de laine, sur le pont de l’Amerika. Il est assis sur une caisse d’acier, le dos calé à la paroi d’un container. Gustav Mahler attend la tasse de thé brûlant qu’un jeune matelot doit lui apporter, comme chaque jour à la même heure. Il a le temps de réfléchir lors de cette traversée, de laisser venir les souvenirs. Il rumine, ressasse, pense à la musique, supputant « sa présence et son souffle, pareils à ceux d’un être vivant dont le corps sans pesanteur se serait déployé dans la pièce, pour finir par l’envahir toute ». Cet homme-là a toujours mal dormi, toujours souffert de migraines et ici, sur ce paquebot qui le ramène en Europe après une dernière saison à New York, le musicien adulé est encore tourmenté par la douleur.
Dans ce texte très court, ramassé, intense, l’autrichien Robert Seethaler pèse chaque mot, refusant l’adjectif qui embellit, l’explication inutile, pour mieux composer une œuvre forte et vivante qui suggère plus qu’elle ne raconte, ouvre des voies plus qu’elle ne trace une route. Mahler, le créateur, le chef d’orchestre, est aussi un amoureux de sa femme, Alma, un homme qui survit après le deuil de sa fille aînée, tantôt bourreau de travail, tantôt promeneur à la recherche du silence dans la nature.
Robert Seethaler reprend ici les thèmes qui lui sont chers : la mort (Le Champ, 2020), l’apprentissage de la vie (Une vie entière, 2015), les bouleversements de l’histoire (Le Tabac Tresniek, 2014) et toujours les bruits discordants du monde alentour. Robert Seethaler ne veut pas « écrire » sur la musique dans ce Dernier Mouvement. « On ne peut pas raconter la musique, il n’y a pas de mots pour ça. Dès qu’on peut décrire la musique, c’est qu’elle est mauvaise », fait-il dire à Gustav Mahler. Le romancier choisit de prélever des images et des sentiments avec mesure. C’est alors que le livre se révèle un magnifique exercice d’équilibre entre le fond et la forme, le son et la lumière, la fiction et la biographie. Et tandis que le corps du musicien tremble de froid et de fièvre sur les hauteurs du bateau, le lecteur se rapproche pour écouter la musique du texte composée pour lui.