TÉLÉRAMA, Stéphane Ehles, mercredi 15 novembre 2023


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Le Café sans nom, la douce et chaleureuse humanité des habitués d’un bistrot viennois
À Vienne, dans les années 1960, les personnages ordinaires de Robert Seethaler se croisent dans un modeste bistrot. Le récit sensible d’une époque et de l’évolution d’une ville.

Vienne, fin d’été 1966. Robert Simon vit sa dernière journée de petits boulots sur les marchés. Demain, il va reprendre un vieux troquet défraîchi, lui donner un coup de neuf et commencer sa nouvelle vie… Voilà Robert Seethaler, écrivain à succès de la littérature de langue allemande, de retour à Vienne, comme dans son premier roman traduit en français, Le Tabac Tresniek (éd. Sabine Wespieser, 2014, et Folio, 2016).

S’il vit aujourd’hui à Berlin, il est né dans la capitale autrichienne l’année même où commence son dernier opus. Il nous fait plonger ici dans le microquartier du Marché-des-Carmélites, non loin de la grande roue du Prater. Dans ce café qui deviendra vite un foyer chaleureux (même s’il n’a pas de nom), gravitent quantité de personnages attachants, de la serveuse Mila au boucher Johannes Berg, et tous les autres, saisis au vif de leur histoire singulière.

Les romances, les bagarres…
À l’arrière-plan de ces vies minuscules, s’esquisse le décor d’une époque, les années 1960, déjà loin mais tout de même si proches des années de guerre. L’ordre économique a commencé sa mutation, les nouvelles constructions, de béton et de verre, dessinent la nouvelle physionomie urbaine ; de nouveaux habitants s’installent dans le quartier, venus de Yougoslavie ou de Turquie ; imperceptiblement, la vie change.

Il n’y a pourtant, chez Robert Seethaler, ni aigreur ni glorification virulente d’un passé révolu. Tout le talent de l’auteur tient dans un puissant sens de la description. Dans les mots de Seethaler, on ressent le froid de l’hiver, on vit les romances comme les bagarres, on entend le couteau du boucher s’enfoncer dans la viande qu’il découpe, on sent le sol se dérober sous les pieds de l’ivrogne. La réalité humaine des personnages est si profondément sondée ; l’histoire en marche, elle, n’est qu’évoquée, suggérée. Si nostalgie il y a, il s’agit d’une nostalgie douce. Comme les « si jolis reflets au soleil » dans un ballon de rouge.